Le matriarcat est généralement présenté comme un type de société non sexiste au sens moderne du terme, puisqu'il n'aurait pas entraîné de rapports de domination d'un sexe sur l'autre, en particulier des hommes sur les femmes. Système social où le pouvoir est détenu par les femmes, il serait une « gynocratie ». Compris sous cette forme, il tient davantage soit du phantasme à la suite des théories divulguées par Johann Jakob Bachofen Das Mutterrecht und Urreligion (Le Droit maternel), soit il fut trop vite et trop facilement assimilé avec romantisme à un « Age d'or » mythique. Il ne fut cependant pas le seul à avoir fait l'hypothèse de l'existence d'un tel système. Ce fut également l'opinion de Sir James George Frazer dans Le Rameau d'Or Robert Briffault dans son ouvrage Les Mères publié en 1927.
La thèse des sociétés « matristiques » de Marija Gimbutas
Marija Gimbutas, archéologue et anthropologue universellement considérée une des meilleures spécialistes en ce domaine, spécialiste des cultures indo-européennes et pré-indo-européennes, ex-chercheuse à l'université de Harvard, préfère le terme de société « matristique » pour désigner le type de société qui perdura des dizaines de millénaires, depuis l'Aurignacien jusqu'au début des temps historiques vers — 3000 où le patriarcat est peu à peu institué. Ses théories, en particulier celle du culte de la Déesse qui fut universellement répandu durant toute la préhistoire, se fondent sur ses recherches et se basent sur les campagnes archéologiques qu'elle a dirigé quinze années durant dans ce qu'elle appelle « l'ancienne Europe », pré-indo-européenne, principalement dans les Balkans et le long du cours du Danube.
Un tel système ne se basait pas sur une discrimination sexuelle, mais sur l'importance accordée au féminin, la femme incarnant la reproduction de l'espèce et son espoir de pérennité dans une dimension temporelle qui n'était pas linéaire comme elle le devint avec le patriarcat, mais circulaire et cyclique où prend naissance le mythe de « l'éternel retour ».
L'existence d'un tel système social durant la préhistoire n'est plus guère mis en doute aujourd'hui, même si ethnologues, archéologues et anthropologues ne sont pas toujours d'accord sur sa définition. Ce qui pose davantage problème aujourd'hui est de savoir pourquoi et comment le patriarcat l'a substitué pour s'imposer entre -5000 et -3000.
Les origines du matriarcat
Premier système social humain, il sort l'humanité de l'animalité. Dans la promiscuité de la horde primitive, seule la filiation maternelle pouvait être prouvée. Les premiers humains n'avaient d'ailleurs pas conscience des fonctions des deux sexes dans la procréation, et la maternité était perçue par les primitifs comme parthénogenèse relevant du surnaturel dont le corps de la femme était dépositaire. Le fait de la certitude de la filiation maternelle est ce qui va déterminer l'émergence du matriarcat et sa fonction civilisatrice, et c'est par voie matrilinéaire que va se transmettre la civilisation.
A partir de cette donnée irréfutable de la certitude de la filiation maternelle, deux théories tentent d'expliquer les modalités selon lesquelles le système matriarcal s'est instauré; elles ne s'opposent pas mais sont plutôt concomitantes.
L'une, à la suite de Jewis Henry Morgan, se base sur le système de parenté à partir du totem engendrant le tabou, comme le fait remarquer Evelyn Reed , permettant à la horde structurée en clan maternel de se concevoir comme "humain" par rapport aux autres hordes considérées comme "animaux" (qu'on pouvait éventuellement chasser et manger) et donc limiter le cannibalisme en élevant la barrière de l'interdit concernant les membres du clan, puis les membres des autres clans structurés selon le même système avec lesquels se créent des échanges, jusqu'à ne devenir que rituel et être ainsi jugulé.
L'autre, à la suite de Bachofen, que les femmes se libérèrent de la tyrannie des caprices sexuels masculins par le biais du pouvoir de la religion, utilisant le "mystère" de la maternité pour organiser la horde aux fins de favoriser la survie et la continuité de l'espèce humaine. La maternité, dans une telle perspective, développa l'imagination de la femme, qui devint la première artisane, inventant la poterie pour la conservation des aliments, et le tressage pour la confection tant de paniers pour le transport de ces denrées que d'abris de fortune, tressage dont sortira par la suite le tissage.
Dépositaire de la religion, gardiennes et représentantes du totem du clan qui substitue la horde, elles sont les premières artistes en créant les statuettes votives, "Vénus" symbolisant la fécondité. Ce sont également elles qui, par le lien symbiotique qui les lient à l'enfant lui permettant la survie extra-utérine dans les premiers mois de la vie après que la station verticale ne permette plus à la créature de marcher dès la naissance, à fixer les premières formes du langage articulé et à le transmettre.
Les sociétés de type matriarcal
Le lien originel mère-nourrisson s'élargit par l'agrégation avec les autres femmes dans des formes d'entr'aide mutuelle dans les activités quotidiennes afin de conserver la vie, formant un "gynégroupe". Il s'agit par conséquent de sociétés fort peu hiérarchisées et horizontales.
Du point de vue de la sexualité, on peut supposer qu'elle n'est pas répressive et que le lien symbiotique entre la mère et le nourrisson n'est pas brisé comme il le sera avec l'avènement du patriarcat, mais se distend spontanément au fur et à mesure que l'enfant arrive à l'âge adulte, soit à la maturité sexuelle considérée comme âge de capacité de reproduction. Dans ce type de société, on suppose que l'homosexualité naturelle chez le mammifère humain comme chez les autres primates, n'était pas réprimée. Les individus moins dotés physiquement pour les activités requèrant une force physique certaine comme la chasse au gros gibier restaient dans la société des femmes et considérés comme telles. Il est assez vraisemblable que les individues dotées par la nature d'une force supérieure à la norme chez les femmes pouvaient inversement être cooptées par les chasseurs.
Ces sociétés, de nature pacifique, furent les premières à développer l'agriculture et à se sédentariser pour former les premiers bourgs, les premières cités d'au moins - 10 000, et dont l'archéologie à retrouvé les traces -dont çatal Huyuk est l'exemple le plus connu- dans toute l'europe méridionale, de la péninsule ibérique aux Balkans et en Afrique du nord. C'est ce que plusieurs archéologues ont pu mettre en évidence à la suite de Marija Gimbutas. Les civilisations méditerranéennes dites des "hypogées" relèvent également de ce type de société. Toutes furent détruites par le saccage et la violence vers -3 500; des traces d'incendies et de violences diverses ont pu être mises en évidence par les fouilles. Des isolats ont ensuite perduré jusqu'à nous dans plusieurs régions du monde.
Il semble que les sociétés pastorales de nomades d'eurasie dans lesquelles le patriarcat semble s'être formé aient été également des sociétés matriarcales; c'est du moins ce qu'il ressort des fouilles menées entre 1992 e il 1995 par Jeannine Davis-Kimball, directrice du Centre de Recherches de la Civilisation Nomade Eurasiatique à l'université de Berkeley en Californie, où ce sont en fait davantage des squelettes féminins qui ont été retrouvés dans les Kourganes. Celle-ci a pu noter que dans tous les musées d'eurasie qu'elle a systématiquement visité pour en connaître les artefatcts conservés, se retrouvent les traces de prêtresses, femmes-chamanes, et curieusement, à partir de -4000 environ, guerrières, ce qui n'a pas manqué d'être mis en relation avec le mythe des Amazones. La thèse de Jane Davis-Kimball a été appuyée par Sarah Nelson, anthropologue de l’université de Denver.
Ceci tendrait à prouver que dans la société matriarcale les rapports entre femmes et hommes étaient assez égaux même si la prépondérance était accordée au féminin en raison de la religiosité qui entourait la maternité. Le matriarcat ne dut probablement jamais maltraiter les hommes, et le passage au patriarcat dut se faire dans une relative égalité des sexes jusqu'à ce que pour des raisons qui restent à étudier celui-ci s'instaure définitivement dans la violence et par la discrimination. Peut-être que cette même violence et suprématie physique masculine que les femmes avaient réussi à neutraliser par le biais de la religion des millénaires auparavant en sortant l'humanité de l'animalité ressurgit-elle quand ceux-ci s'emparèrent de la religion. La plupart des humains vivent actuellement dans une société de type patriarcal, qui montre cependant des signes de changement dans les sociétés post-industrielles occidentales.
La "Théorie de l'Échange" (Voir: la Théorie de l'alliance selon Françoise Héritier) prévoyant la "circulation des femmes" jugulant l'inceste n'est cependant pas condition sine qua non du patriarcat de même qu'elle n'entraîne pas automatiquement la monogamie. Dans les sociétés d'amazonie par exemple, on note que si l'homme peut avoir simultanément plusieurs femmes, c'est la femme qui change plus facilement de partenaire, n'ayant en revanche qu'une seule relation à la fois. On pense que cela est dû au fait qu'elle reste momentanément avec le père de l'enfant né de sa relation. Les enfants, quels que soient les pères, restent d'ailleurs avec la mère jusqu'à l'âge où la puberté les rend adultes et autonomes.
Si l'éventualité du matriarcat reste une hypothèse aux yeux de certains, bien que l'évidence de caractéristiques ne relevant pas du patriarcat émergent du résultat de fouilles archéologiques relatives au néolithique en Asie et dans le bassin méditerranéen, il reste que cette idée a remis en question le patriarcat comme seule et unique forme d'organisation sociale possible.