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Samedi (03/05/08)
Mai 68

Ce texte fait partie de mes « Mémoires », que j’ai (en partie) rédigées il y a déjà quelques années. Cela fait partie de l’héritage culturel que je veux laisser à mes enfants, à mes descendants quand j'en aurai, un jour. J’ai essayé de transcrire mes souvenirs le plus fidèlement possible. Je publie le texte tel quel :

 
J’avais tout juste 14 ans, mais ce fut vraiment l’année des grands changements. C’était le temps où les femmes commençaient à porter couramment le pantalon. La mode en peu de temps avait déjà changé en ce printemps, la mini-jupe faisait son apparition dans les transports en commun (c’est là qu’on voit vraiment la mode de la rue) et les cheveux des hommes s’allongeaient pour couvrir les oreilles. Les lycéennes, les étudiantes et les très jeunes femmes s’habillaient comme le mannequin anglais Twiggy, chaussures à talons et bouts carrés, grandes chaussettes blanches et jupes courtes, taille basse, pull étroits au nombril. Grande époque du Ricils, des grands yeux ingénus et dévorants, seuls à ressortir dans un visage ou les lèvres n’étaient pas soulignées, le rouge à lèvres prenant les couleurs des fonds de teint. Après 68, un élément vestimentaire allait connaître une fortune extraordinaire chez les jeunes femmes : le blue-jean, signe évident d’une certaine égalité des sexes conquise, ou tout au moins fortement revendiquée.

 

 Rien ne laissait prévoir l’ampleur des mouvements que nous allions connaître ce printemps-là. Le train-train du quotidien s’écoulait paisiblement, pourrait-on dire, en cette fin du règne Gaullien. Il y avait à peine un mieux-être dans ma famille après tant d’années passées « à tirer le diable par la queue » pour boucler les fins de mois en remboursant le prêt bancaire de la maison que mes parents avaient fait construire. Pour la première fois, nous avions passé une semaine de vacances à l’étranger ; nous étions allés à Venise pour Pâques.

 

 Guère plus d’un mois plus tard, les signes avant-coureurs de ce qui allait suivre apparurent. La télévision en noir et blanc parlait de revendications estudiantines à Nanterre, dans la banlieue ouest ; on ne parlait pas encore « d’évènements », comme on dit par la suite. Pour autant que je me souvienne, des mouvements de grève éclatèrent ça et là, mais c’était chose courante et commune qu’il y en ait de temps à autres. Il y en eut bien évidemment au lycée comme ailleurs, mais cela n’avait rien de surprenant. Ce qui le fut est la tournure que prirent les évènements. D’habitude, il ne s’agissait que d’une journée de grève des enseignants, et nous restions alors tout simplement chez nous. Ce qui fut différent, et très perceptible dans ce grand lycée qui comptait à l’époque deux mille cinq cents élèves, c’est que, outre aux professeurs, les classes du second cycle se mirent en grève et occupèrent le lycée, du jamais vu. Il y eut des assemblées générales sur la pelouse centrale où tant élèves que professeurs prenaient tour à tour la parole en ce passant un mégaphone ; tout le monde avait le sentiment qu’il se passait quelque chose hors du commun.

 

 Je n’étais qu’une gamine et ne fut jamais qu’une jeune observatrice de ce qui se déroula. La grève générale fut votée, et il fut décidé de se rendre dans Paris pour rejoindre les cortèges de manifestants qui commençaient à se former tous les jours. Je n’y suis évidemment jamais allée, mes parents ne m’auraient d’ailleurs jamais permis de m’y rendre et je n’en avais du reste nullement le désir, n’étant qu’une gosse étonnée par la tournure que prenaient ces évènements qui sortaient de l’ordinaire. Mes parents, qui étaient jeunes alors, se rendirent souvent dans Paris; désormais la grève générale s’étendait à tous les secteurs comme une traînée de poudre. Mon père se rendait en vélo là où il travaillait et où les employés faisaient les piquets de grève à tour de rôle, et ma mère se rendit quelquefois aux amphithéâtres archi-combles de la Sorbonne pour entendre ce qui s’y disait. Je crois qu’elle fut heureuse de s’asseoir sur les bancs de l’auguste maison du savoir, tout à la fois respectée et ressentie comme hostile par le peuple des banlieues, qui plus est par une femme des banlieues comme elle l’était.

 

 Bientôt, il n’y eut plus de transports en commun, plus de voitures dans les rues car l’essence vint à manquer. Plus de télévision ; un écran gris qui ne laissait paraître à l’heure des nouvelles que des débats politiques. Les gens par contre écoutaient la radio pratiquement 24 heures sur 24. Il n’y avait dans les supermarchés qu’une sorte de service minimum assuré par les piquets de grève. La pression du gaz baissa, la flamme dansait inégale quand on cuisinait, et les coupures de courant devinrent fréquentes ; il ne fut pas rare de passer les soirées à écouter la radio à la lueur d’une bougie. Une des choses qui m’a le plus marquée est que les gens sortaient de chez eux et se parlaient. C’était le printemps, il faisait beau, les gens le soir étaient sur les troittoirs, discutaient avec une animation incroyable et leurs yeux brillaient, ils échangeaient leur point de vue, les dernières nouvelles, une oreille rivée au transistor. La vie et la ville avaient pris un caractère étrange, d’une nouveauté absolue, extraordinaire.

 

 Quand De Gaulle se retira à Colombey, laissant non pas le chaos mais le vide politique et le pouvoir vacant dans la capitale, il y eut un sentiment d’attente d’une intensité dont je me souviens parfaitement malgré mon jeune âge à l’époque. Inquiétude n’est pas le mot. Attente, c’est bien de cela qu’il s’agissait. Les gens attendaient de voir venir les évènements, attendaient quelque chose.

 

 Une vague inquiétude se fit jour quand la rumeur courut que De Gaulle avait semble-t-il rencontré le général Massu quelque part en Allemagne Fédérale. Il y avait encore à l’époque des troupes alliées stationnées de l’autre côté du Rhin, y compris des troupes françaises. La radio parla de manœuvres, de mouvements de troupes là-bas, et les gens pensèrent qu’elles marcheraient, peut-être, sur Paris.

 

 De même que, quand, dix ans plus tôt, à l’appel radio du même De Gaulle lors d’un de ses fameux discours, celui du « quarteron de généraux félons » préparant un putsch à Alger pour prendre le pouvoir en France métropolitaine, avait demandé aux troupes de ne pas sortir des casernes sauf si lui-même ne leur en donnait l’ordre pour défendre la république et au peuple de Paris de barrer les accès de la capitale, il se produisit l’inverse. Le bruit courut que les chars arriveraient peut-être par l’est, et nombre de personnes se rendirent vers Le Bourget pour barrer les routes avec leurs voitures. Mais rien de ce genre ne se produisit.

 

 Seules les nombreuses manifestations que nous savons eurent lieu, parfaitement documentées par les images filmées de l’époque, que nous avons tous vues.

 

 Quand les « évènements » prirent fin, tout rentra dans l’ordre et dans la même apathie que lorsqu’ils avaient commencés. Le courant, la télé, revinrent comme l’essence aux pompes, et les gens repartirent le week-end à la campagne, moins en vacances cet été là, désargentés par un long mois de grève. Il y eut les élections présidentielles et législatives en juin je crois, Pompidou fut élu, et nous fûmes parmi ceux qui purent partir en vacances. Les séjours dans les villages de vacances du Comité d’Entreprise ne coûtaient pas très cher, tout le monde n’avait pas cette chance… Je me souviens que, dans un patelin de province dans lequel nous nous étions arrêtés en cours de route pour boire un coup, les autochtones nous regardaient de travers. Un pilier de bar lança à la cantonade quelqu’invective à notre égard : « …ceux qui ne remplissaient pas leur devoir civique en n'allant pas voter au second tour et partaient en vacances après avoir créé du désordre pour profiter des avantages des accords de Grenelle… », accoudé au comptoir en nous regardant en biais. Ma mère en sortant lui répondit d’un ton coupant avec un regard méprisant : « le nôtre est déjà fait et notre député ne vous plairait sûrement pas ». Antique animosité entre Paris et la province, la province profonde et les grandes villes, parce qu’elles ne furent pas en reste…

 

 Mais, malgré l’apparente apathie, le calme revenu et la tranquillité retrouvée, la France avait changé de visage. Après l’onde de choc de Mai 68, les années 70 allaient déferler avec les cortèges des manifestations de la jeunesse de l’époque, les groupes de pop music, les cheveux longs et les blue-jeans. Une jeunesse (mixte, garçons et filles, c’était là une grande nouveauté) qui voyageait de plus en plus, sortait pour la première fois massivement hors de ses frontières « pour voir » et non pour faire une guerre, curieuse de savoir comment c’était chez les voisins. L’Europe devenait de plus en plus une réalité, un ensemble homogène, un espace de vie vivable où un immense brassage culturel s’opérait. Et ce pour la première fois de l’histoire, après la première moitié d’un XX° siècle déchiré par les guerres.

Que d'espoirs déçus et trahis, depuis!

Ecrit par Lory, à 00:58 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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Mardi (01/01/08)
Mixité sociale
--> Bien difficile à réaliser

Ma famille est pour la majeure partie déchristianisée depuis plusieurs générations. La plupart ne sont donc pas baptisés, ne sont jamais allés au catéchisme, ne sont pas mariés à l’église, et n’ont pas fait baptiser leurs enfants. Mes enfants ne sont pas baptisés non plus. Famille laïque où la laïcité est ancrée dans les mœurs, une valeur à laquelle on tient, et qui vote à gauche depuis que le droit de vote existe, sans doutes. Pour l’école publique et opposés à l’école privée.

 

Mes parents, et les membres de la famille de leur génération, étaient à l’époque contre la guerre l’Algérie, ce qui leur a valu bien des brouilles au bureau, chez les commerçants du quartier. Personne dans ma famille n’a jamais mis les pieds aux « colonies » du temps où il y en avait.

 

La majorité de mes cousins et cousines vivent en région parisienne, dont certains en Seine-Saint-Denis. Une de mes cousines a mis ses enfants dès le départ dans une école privée, l’école primaire la plus proche où elle aurait dû les inscrire ne lui semblant pas offrir toutes les garanties d’apprentissage, pour la raison, selon son opinion, que les classes étaient majoritairement peuplées d’enfants d’immigrés.

 

Un autre de mes cousins avait mis son fils à l’école publique primaire, également peuplée majoritairement d’enfants d’immigrés. Il n’avait pas tenu compte des objections ni de la réprobation de certains de ses collègues et voisins qui s’en étonnaient, s’en indignaient même. Partant du principe que l’école publique est l’école de tout le monde et que les enfants des immigrés ne sont pas de ce fait pires que les autres, il n’était pas revenu sur sa décision. Les choses ne se passèrent d’ailleurs pas mal, son fils avait ses copains, une situation assez tranquille. Le fait est que lui et sa femme ont commencé à se poser des questions lorsque leur fils est arrivé en CM2. Il avait acquis un vocabulaire qui n’était pas précisément celui en usage en famille, leur laissant quelques perplexités. Les résultats scolaires étaient bons, même étonnement bons, ce qui a tout de même fini par surprendre mon cousin et sa femme en constatant les lacunes de leur fils au niveau de l’analyse grammaticale par exemple, et d’un certain nombre d’autres choses qu’ils se souvenaient acquises à cet âge. Ils ont décidé, à regret, de le mettre en classe de 6ème dans une école privée, où il fut accepté sur présentation du dossier scolaire, n’augurant rien de bon du CES dans lequel ils auraient en principe dû envoyer leur fils, qui eut au début des difficultés non indifférentes à se mettre au niveau.

 

Je n’ai pas connu ce genre de problème avec mes enfants. Ici, en province, les écoles sont à peu près ce qu’elles étaient pour ma génération, en France. Par contre, à cause de l’heure de religion catho, en n’y inscrivant pas mes enfants, j’ai eu quelques problèmes avec certains enseignants, minoritaires mais il en existe. Ils avaient tendance à marginaliser mes enfants, tendaient à caser le bon dieu dans les mathématiques et la grammaire, bref, là où il n’avait absolument rien à faire, surtout à l’école publique.

 

J’ai dû me battre, avec acharnement (mais je suis acharnée), protester dans les assemblées de parents d’élèves, faire un foin d’enfer en remuant ciel et terre dans les bureaux des assesseurs municipaux, mener une véritable campagne anticléricale dans toutes les associations locales (où j’ai obtenu beaucoup de compréhension), menacer de procès des instits, qui ont fini par en rabattre.

 

Il y a, ici, des gens que je ne salue jamais. Auxquels je n’adresse jamais la parole même s’ils sont à côté de moi au supermarché. Il arrive que je change ostensiblement de trottoir quand je croise certaines personnes. Quant aux quêteurs venant quêter pour les fêtes paroissiales, ou les Témoins de Jéhovah, (il y a ça aussi), il y a beau temps qu’ils ne sonnent plus jamais à ma porte. Il y en a certains que j’ai dû de virer avec perte et fracas pour qu’ils comprennent de ne jamais revenir.

 

Il en est de même avec l’islam. Les voilées, ce n’est même pas la peine de me parler d’acceptation à leur égard.

 
Ecrit par Lory, à 13:36 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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Vendredi (28/12/07)
France étrange

J’ai découvert le blog très intéressant d’une très jeune femme issue de l’immigration, qui porte le foulard, et qui parle de son expérience de « femme voilée », de son malaise au sein de la société française, de ce qu’elle ressent dans le regard que portent les autres sur elle: les Chroniques d'une voilée désabusée.

 

Jeune étudiante, elle a un bagage intellectuel et culturel que peuvent lui envier nombre de français de souche. Elle possède en outre une excellente maîtrise de la langue française, qui est sa langue maternelle, et qu’elle manie avec une aisance remarquable ; c’est même quelqu’un qui, à mon avis, possède d’indéniables qualités d'écriture, d’autant plus remarquables qu’elle a vingt ans seulement (du moins, c’est ce qu’elle dit). Une personne qui « sait écrire », ce qui n’est pas donné à tout le monde. Son blog n’en est que plus intéressant, parce qu’il est intelligent.

 

Je l’ai pratiquement lu en entier, y compris les commentaires, eux aussi intéressants, autant que révélateurs. En le lisant, son désarroi me gagne en ce qu’il rejoint le mien qui est celui d'une autochtone. Je comprends son désenchantement, et le pessimisme mélancolique qu’elle exprime me touche parce que, comme elle, je ne vois guère de solution à un problème des plus récurrents actuellement au sein de la société française, et européenne en général, face à l’islam.

 

D’un point de vue critique, le plus objectivement qu’il me soit possible, il me vient à faire quelques considérations.

 

Tout d’abord, il s’agit d’une jeune femme appartenant à la petite bourgeoisie issue de l’immigration, vivant dans une zone pavillonnaire en région parisienne, dans une réalité bien différente de celle des grandes cités. Une réalité que je connais bien, s’agissant de quartiers mixtes où les familles comme la sienne ont généralement racheté le pavillon de petits vieux partis en retraite dans une maison de campagne en province.

 

Elle a choisi de porter le foulard, non pas tant pour une motivation d’ordre religieux, bien qu’elle se déclare croyante, et même pratiquante, mais sans plus, comme nombre de chrétiens se contentent d’aller à la messe à Pâques et à Noël ou en quelques circonstances telles qu’un mariage ou un baptême, en somme, mais pour une question identitaire. Parce qu’elle ne se sent pas reconnue comme française à part entière de par ses origines, dans le pays qui est pourtant le sien ; la France.

Ce qui n’est guère une situation agréable, il faudrait vraiment être dépourvu de la moindre humanité pour ne pas s’en rendre compte, ou imbécile pour ne pas le comprendre.

 

Il ne s’agit bien évidemment pas d’une paysanne arrivée empaquetée de la tête aux pieds et s’exprimant difficilement en français, ni de ces filles des cités arrivées avec difficulté jusqu’en classe de troisième et ayant abandonné l’école, habillées sans goût à la façon musulmane contemporaine standard. Non, on comprend très bien en la lisant qu’elle s’habille comme n’importe qu’elle jeune femme de son âge qui s’habillerait convenablement ; d’ailleurs elle dit elle-même se vêtir chez H&M entre autre, seules les jupes courtes ne doivent pas faire partie de sa garde-robe, ni les T.shirts courts dénudant le nombril, une question de pudeur, ultérieure motivation qu’elle donne a son choix de porter le foulard. Elle porte simplement un foulard sur la tête, que j’imagine sans peine assorti au reste de sa toilette ; probablement élégante, sans doute maquillée normalement. Un foulard sans doutes joli et de bonne qualité, mais qui fait toute la différence avec les autres françaises.

 

La question de la pudeur est quelque chose que je comprends tout à fait, d’ailleurs chez Mauvaise Herbe toujours, on trouve ce texte, en trois parties, très intéressant à ce propos. Il est vrai que le regard masculin gêne, inhibe et dérange les femmes, les contraint selon les endroits et les situations, pour être laissées en paix et passer le plus possible inaperçues, à être éternellement en T.shirts ample sur jean, à s’habiller de façon masculine.

 

Ce que par contre je perçois en tant que femme autochtone et qu’elle ne semble pas percevoir est en quelque sorte l’envers de son point de vue. J'aime bien voir l'envers des choses, quel que soit le point de vue qu'on me présente.

 

Il m’est arrivé, précisément chez Carrefour, dont elle parle d’ailleurs, de croiser dans le centre commercial de jeunes franco-maghrébins musulmans occupés à regarder passer les filles et à faire leurs commentaires à haute voix, pas toujours très flatteurs, et de les avoir entendu dire, à plusieurs reprises au passage de jeunes filles voilées, façon « sans goût à la façon musulmane contemporaine standard », des « Total respect mes soeurs ». On n’a donc pas droit au respect si on n’a pas ce fameux foulard sur la tête ? Et vaut-il mieux être empaquetée dans un accoutrement informe pour avoir la paix que de s’habiller chez H&M et porter un joli foulard dans le même ton que le reste ?

 

Cela me laisse tout de même une certaine amertume. Et je me souviens de ma fille alors âgée de seize ou dix-sept ans, allant justement chez H&M et autre Pimkie au centre commercial, se faire systématiquement emmerder par ce genre de types venus de leur cité, d’autant plus qu’elle est brune et de type méditerranéen. Elle avait alors fort judicieusement pris l’habitude de répondre en italien, jamais en français, signifiant par le biais linguistique qu’elle n’appartenait pas à la communauté musulmane. Cela avait l’effet immédiat de faire cesser tout harcèlement.

 

Autrefois, il y a plus d’une trentaine d’années, la cité (on disait alors les HLM) la plus proche de chez moi n’était pas celle des alentours qui ait la plus mauvaise réputation. Il courait cependant des rumeurs sinistres de viols collectifs dans les caves, et à vrai dire, si l’on ne courait guère de risques à la traverser en plein jour, il valait mieux éviter d’y passer de nuit, surtout si l’on était une fille. A l’époque, elle était peuplée de blancs, « petits blancs » pour beaucoup mais pas seulement puisqu’il y avait aussi les instits de l’école, quelques profs, des employés ; ce sont les premiers à l’avoir quittée pour un pavillon, et au fur et à mesure tous les blancs sont partis, seuls les plus vieux aux maigres retraites y sont restés. Elle s’est ensuite peuplée d’immigrés, et les mêmes histoires de viols dans les caves subsistent, ce qui n’est donc pas une spécificité de la population actuelle.

 

Là où l’amertume devient désarroi, c’est lorsqu’elle dit que, porter le foulard, c’est vivre autrement, selon d’autres paramètres. Et vivre selon ses paramètres, c’est être musulmane, devenir musulmane. Et là, en dépit de toute la compréhension et même la sympathie que je peux éprouver pour elle en lisant son blog, un mur infranchissable s’élève, irrémédiablement.

 

Sans doutes préfèrerais-je avoir une jeune collègue comme elle plutôt qu’une émule de Boutin. Son foulard sur la tête pour parler par-dessus un ordinateur ou faire la pause café ne me dérangerait pas particulièrement. A vrai dire ça me serait même indifférent. Pour peu qu’elle ait le bon goût de ne pas me parler du bon dieu, ça me plairait infiniment plus qu’une emmerdeuse avec une croix en sautoir me remettant le petit Jésus sur le tapis à tout bout de champ.

 

La question n’est pas tant dans les rapports personnels, parce qu’on a ou pas des atomes crochus avec les gens selon les hobbies, les goûts personnels artistiques ou littéraires, les affinités au niveau du caractère, etc. Le problème se pose, pour moi, au niveau de la représentation qu’on se fait d’une communauté et plus encore, et surtout, de l’impact qu’a celle-ci sur vous au quotidien.

 

Je vais tenter de m’expliquer. Quand je suis arrivée, depuis Orly, à la station du RER où je suis descendue, et qui était autrefois une gare de banlieue où il m’arrivait de prendre le train jusqu’à Gare du Nord, vers sept heures et demi, j’étais la seule blanche. Je n’avais tout simplement pas l’impression d’être en France, chez moi, dans le pays où je suis née, où sont nés mes aïeux depuis des siècles. Certes, la gare n’était plus la même, elle avait été modernisée. Mais ce n’était pas la cause première de mon dépaysement. Certes, les gens parlaient, entre autre, français, mais un drôle de français ; pas celui que je parle habituellement avec ma famille. Il n’y avait que des noirs, disons plutôt en dégradé du clair au foncé. En observant plus attentivement en attendant l’autobus qui tardait à venir à cette heure, me sont apparues deux catégories bien distinctes. Cela ne dépendait pas tellement de la couleur, si je puis dire, mais de tout un ensemble de facteurs différents selon lesquels il m’était possible de déterminer qui était français et qui ne l’était pas. Il y avait par exemple cette femme qui parlait dans une langue inconnue dans son portable, flanquée de trois mouflets qui ne devaient pas avoir plus de dix-huit mois de différence, et qui était enceinte d’un quatrième. Cette autre avec sa fille d’environ sept ans, plutôt bien habillées, qui ne prenait pas le bus parce que son mari l’attendait en voiture. Cette autre encore assise sous l’abris du bus et plongée dans un gros bouquin et qui n’en aurait pas levé le nez même au son de la fanfare. La seule chose « parisienne », ou plutôt citadine, qu’avaient en commun ces gens, c’était de ne pas s’adresser la parole. En province, les gens ne restent pas dix minutes à attendre un bus sans se mettre à parler de la pluie et du beau temps.

 

Quelques jours plus tard, je me suis aperçue que faire les courses n’était pas simple, bien que les boutiques et les supermarchés ne manquent pas. Là encore, je vais tenter de m’expliquer. Si l’on est français de souche, et donc généralement dans une zone pavillonnaire, de plus en plus souvent mixte dans une commune de Seine-Saint-Denis, c’est un peu le parcours du combattant. En fait, on peut se ravitailler en produits alimentaires autochtones soit au marché, soit dans les quelques boutiques qui subsistent comme les charcuteries, soit dans un supermarché relativement *chic*, soit en allant chez Carrefour. Sinon, les autres commerces et gérances de petites surfaces sont tenues par des arabes. On n’y trouve donc pas de porc sinon sous plastique dans les supérettes et de la pire qualité qui soit, et très peu de choix dans la variété. Pareil pour les vins. On trouve évidemment tout le reste, à des prix très abordables, et de qualité tout à fait correcte. Et tout ce qu’on veut comme plats cuisinés asiatiques ou maghrébins. J’aime bien les nems, le cous-cous et les tagines aussi, mais une fois la semaine, ça me suffit. Le reste du temps, j’ai envie de manger gaulois. Je suis entrée un jour dans une boulangerie où j’avais autrefois l’habitude d’aller. Une jeune femme sortit de l’arrière boutique, en blouse blanche à liseré, avec un foulard couleur saumon sur la tête ; la gérance avait changé. Je lui ai acheté ma baguette, bien sûr, mais je n’y suis jamais retournée. Derrière moi sont entrées des personnes qui ont salué la boulangère dans leur langue ; en France, j’ai envie d’entendre parler français.

 

Alors, inexorablement, les blancs s’en vont, les commerces aussi, et les habitudes alimentaires traditionnelles s’en vont avec eux.

 

Des anecdotes sur la vie quotidienne en banlieue, je pourrais en raconter à la pelle. Comme celle du père d’un des amis de mon frère. Ce vieil espagnol, adhérent à la CGT, avait fait baptiser ses trois enfants pour faire plaisir à sa femme, puis il n’avait plus voulu entendre parler de communion ni du reste. Quelques décennies après l’acquisition de son pavillon, le sort avait voulu que le pavillon d’à côté soit transformé en mosquée non règlementaire. Une « mosquée-cave », sauf que c’était un pavillon. Il ne pouvait pas supporter « ces imbéciles qui se prosternaient à quatre pattes devant le bon dieu, c'est-à-dire devant rien, jusque sur le trottoir ». C’est donc précisément le vendredi soir à l’heure de la prière mahométane qu’il devait impérativement tondre sa pelouse avec sa tondeuse pétaradante qu’il avait montée lui-même. Et si, l’hiver, le gazon avait tout de même la queue courte, il devait nécessairement faire brûler des feuilles mortes et autres branchages de ses haies, ou faire un barbecue de saucisses, ou faire griller la sardine bien qu’il ne fût pas portugais, histoire d’enfumer ses indésirables voisins. Je ne sais pas ce que pourraient trouver à objecter les indigènes ; qu’il n’avait qu’à retourner chez lui au pays peut-être, mais au bout de tant de décennies et arrivé à l’âge de la retraite, il ne supportait plus la chaleur et ne s’y rendait qu’au printemps et à l’automne. En outre, les manies de « là-bas » (avant Felipe Gonzalez), l’agaçaient. Et puis il avait ses habitudes en banlieue, son médecin, son dentiste, etc.

 

Elle ne manque pas de lucidité, la blogueuse voilée qui est à peu près de l’âge de ma fille, quand elle dit que, pour sa génération, les dés étaient pipés et que les jeux étaient faits d’avance. Encore que la précarité soit un lot commun pas seulement pour ses congénères indigènes. Elle espère mieux pour la prochaine, qui sera celle de mes petits-enfants. Peut-être. Je ne sais pas. Peut-être parce que je suis plus désenchantée qu’elle, étant plus vieille, et que je ne me fais guère d’illusion sur le genre humain, mais ça n’en prend pas le chemin. Dans les conditions actuelles, cela me semble parfaitement impossible. Il faudrait une politique résolument différente de celle qui est. Peut-être celle de mes arrières-petits-enfants connaîtra-t-elle une amélioration… si le monde ne pète pas avant.

 

 
Ecrit par Lory, à 17:45 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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Mardi (11/12/07)
Au marché

Donc, un dimanche matin, quelques jours avant d'attrapper la crève dans le RER, par un froid vif auquel je ne me suis pas encore habituée, sous un ciel uniformément gris, je vais au marché acheter quelques babioles qui me manquent : un chapeau imperméable (noir, doublé de velours, noir également, puisqu’ici il pleut aussi souvent qu’il bruine, que le parapluie ne sert que s’il pleut averse, mais que s’il bruine on est tout aussi mouillé au bout de quelques temps que quand il pleut sauf qu’on ne s’en aperçoit que quand on est bien trempé), et des bottines fourrées parce que je me caille avec les autres qui ne le sont pas. Et pour flâner, aussi et surtout. Il a bien changé, ce marché par lequel je passais pour aller au lycée autrefois, le long des étalages de fruits et légumes et autres denrées alimentaires. La banlieue a changé, tout y est plus moderne, l’aménagement urbain a amélioré l’environnement. Les arrêts de bus ont quasiment tous des abris, les rues aux pavés inégaux ont été asphaltées, la signalisation routière plus visible ; il est vrai que, là où existaient autrefois des carrefours vivants bordés de commerces, il y désormais des ronds-points et autres échangeurs immenses, sensés fluidifier la circulation, garnis d’arbres et de pelouses, autour desquels il n’y a pas une âme qui vive.

 

Les étalages des denrées alimentaires ne subsistent que dans le marché-couvert, rénové, et vendent de bons produits d’ailleurs, meilleurs que dans les supermarchés. Le long de l’avenue, des marchands de chaussures, de fringues, de sacs, de meubles mêmes, d’un peu tout ce qu’on veut, sous-vêtements, collants, chaussettes, trucs et bidules plus ou moins utiles en tous genres. N’ont subsisté que les fleuristes, qui doivent être les seuls français dits de souche. Les autres ne parlent pas toujours très bien français et sont originaires d’un peu partout, asiatiques, pakistanais ou autres.

 

Tandis que j’attends mon tour à la charcuterie (j’ai envie de manger des rillettes, il y a longtemps que je n’en ai pas mangé), la marchande, une femme à la face rougeaude, explose en imprécations, vocifère en parlant avec une cliente qui abonde dans son sens. Je ne comprends pas bien la raison de sa colère. « Il faudrait tous les renvoyer, moi je les mettrais dans un avion et je le ferais exploser au dessus de la méditerranée » dit-elle en haletant proche de la crise d’apoplexie, ce qui accentue sa couperose sous sa tignasse blondasse et filasse comme de l’étoupe. Je finis par comprendre le sujet de sa rage ; elle parle des immigrés. « Et pour Madame ? » me dit-elle, soudain redevenue affable avec un rictus en guise de sourire qui se voudrait avenant. Je la regarde un instant, puis tourne les talons et la plante derrière son étal sans un mot.

 

Pour moi ce ne sera rien, si j’achetais mes rillettes chez elle, ça risquerait de me couper l’appétit. J’irai les acheter ailleurs ; elle n’est pas la seule charcutière du marché. Mdr, je ne voulais pourtant pas manger d'andouille...

 
Ecrit par Lory, à 20:02 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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La crève

La grève des transports terminée, j’ai eu un soir la mauvaise idée de renter par le RER depuis Gare du Nord, ce qui, en temps normal vers cinq heures du soir ressemble assez à ça. Habituée à l’air respirable de la campagne, j’ai beau être fumeuse, l’air du métro me dérange ; d’ailleurs la plupart du temps je circule dans Paris en bus, c’est préférable, on y est moins tassé et on a l’avantage de passer le temps plus agréablement en regardant au dehors.

 

Le RER arrive, ouvre ses portes et déverse sur le quai bondé ses voyageurs tassés tandis qu’une odeur de sueur et de miasmes qui se décolle d’eux me prend à la gorge. L’air est irrespirable et je me fais la réflexion que cet air empesté doit être chargé de microbes, virus, bactéries en tout genre, température idéale pour un véritable bouillon de culture.

 

Ça ne rate pas, quelques jours plus tard et bien que vaccinée contre la grippe, je suis malade à crever, j’ai une fièvre de cheval et ne peux plus me traîner. Je n'ai pas une santé exceptionnelle, si elle n'est pas des plus mauvaises.


Mes parents sont inquiets, et je me rends compte que ma présence les déboussole, les sort trop de leurs habitudes. Ils sont beaucoup trop vieux désormais pour que je puisse rester plusieurs mois chez eux comme je l’avais pensé. Le problème n’est pas tant le boulot, que j’aurais fini par trouver. Il me faudrait plusieurs mois pour me réinsérer dans la vie parisienne, et le jeu n’en vaut pas la chandelle. Eux-mêmes préfèrent que je rentre, mon fils étant encore jeune, ils sont attristés de le savoir resté seul là-bas. Ils se rendent compte de la situation qui est la mienne, ils m’aideront comme ils pourront et tant qu’ils pourront, eux ont de bonnes retraites. Dans sept ans j’aurais droit au minimum vieillesse italien, j’aurais de toutes façons de quoi faire la jointure.

 

Ce que je trouverais à Paris, je le trouverai aussi bien à Pise, une ville que j’aime bien d’ailleurs, offrant toutes les comodités et un aéroport. Il me suffit de vendre ma maison et d’y acheter un appartement.

J'ai repris l'avion, et ne me suis pas encore remise, harcelée par une sinusite qui ne semble pas pressée de me quitter; souvenir de la région parisienne.

 
Ecrit par Lory, à 01:17 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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Dimanche (09/12/07)
La météo de la station ANPE

Par un après-midi froid et pluvieux, un temps d’ANPE, je m’y rends pour avoir quelques informations et utiliser gratuitement leurs ordi pour consulter leur site et éventuellement imprimer ce qui m’intéresse, et leur téléphone pour les annonces.

 

Il y a une dizaine de machines, mais trois sont hors d’usage, et deux seulement ont une imprimante en état de fonctionnement. J’attends qu’une se libère et m’y colle, et m’assoie devant un clavier crasseux et gras plutôt répugnant. J’ai les ongles assez longs pour ne taper que du bout, ça tombe bien. L’imprimante me débite de travers avec une traînée noire ce dont j’ai besoin mais je m’en contente. Puis je vais à l’ « Accueil » demander ce que je suis venue demander. Il doit y avoir deux ou trois personnes devant moi qui poireautent en attendant leur tour, et deux mochetés aux alentours de la quarantaine qui se voudraient le chic et le look soi-même en personne s’interrogent pour répondre à une brave dame en tennis par le froid qu’il fait et vêtue de façon informe, et qui pour être française « de souche » n’en maltraite pas moins le français et paraît avoir de sérieux problèmes avec les accords grammaticaux. Ceux qui z’ont fait leurs zeures n’ont pas les papiers, ou le contraire. Puis c’est le tour d’un jeune maghrebin qui lui s’exprime dans un français au moins aussi bon que les deux mochetés pète-sec, mais je ne sais pas si c’est pour une question de chic ou de look, toujours est-il que les deux mochetés sont du côté de ceux qui ont un taf et lui de ceux qui n’en ont pas. Ça prend un certain temps parce qu’apparemment les deux mochetés doivent confabuler pour répondre tellement ce qu’on leur demande paraît compliqué bien que je suppose qu’on doit souvent leur demander la même chose et rarement la lune.

 

L’une est trop maquillée, plâtrée au fond de teint, avec des boucles d’oreilles moches trop longues et trop grosses qui s’accrochent à la laine de son pull de sorte que l’une d’elle n’est plus précisément à la verticale mais suit une curieuse oblique, ce qui confère un certain ridicule à son look.

 

L’autre est gringalette et blafarde derrière ses lunettes qu’elle se remonte avec le médium d’un geste qui se voudrait chic et pourrait être gracieux si elle n’avait des mains osseuses et blêmes. Celle-là est perchée sur des bottes à talons aiguilles qui flottent un peu autour de ses mollets maigrichons, et comme elle les remplit mal, elle se tortille les pieds à chaque pas. Elle finit pas disparaître en trottinant sur ses échasses flageolantes dans un antre au fond d’un couloir avec une liasse de paperasse en emmenant à sa suite le jeune maghrebin pour un "entretien" lance-t-elle à voix haute pour faire remarquer l'importance des prérogatives que son métier lui confère. Le pauvre...

 

Je suis absorbée dans une profonde méditation, me demandant en quelle langue il me convient de siffler dès que l’outrancièrement fardée va me donner le moindre signe de me prendre de haut puisqu’elle est du côté de ceux qui ont un taf et pas moi. Ça ne devrait pas me demander un gros effort vue sa dégaine : une dégaine de « BEP amélioré » par un stage de formation professionnelle. Ça ne rate pas. D’abord elle ne comprend pas bien ce que je lui ai expliqué plus clairement qu’un théorème. Je lui répète. Ah, ça y est. Elle a compris. Si je passe à une demande plus compliquée, ça ne va pas être de la tarte. En attendant elle me répond d’un air mal aimable qui signifie que je l’emmerde avec mes questions. Elle sèche sur la seconde et me répond que je dois m’adresser à l’agence qui a publié l’annonce. Comme c’est à l’autre bout de Paris et que je n’ai pas envie d’y aller pour rien, ce que je lui objecte, elle me dit  que chaque agence travaille différemment (?) et qu’elle n’en sait rien, que je dois aller là-bas. Je lui suggère de téléphoner à cette autre agence. Elle me regarde d’un air excédé et me répond que les téléphones sont à disposition du public et la communication gratuite pour le circuit intérieur. Je lui réponds que le numéro n’est pas mentionné sur le formulaire que je lui tends, comme elle peut le constater. Elle se décide en soupirant à prendre un annuaire sous son comptoir qu’elle commence à feuilleter, trouve le numéro, appelle. C’est occupé. C’est moi qui commence à perdre patience. Bovine, elle continue une action jusqu’au bout comme un automate sans la moindre initiative pour l’abréger, ou lui donner une quelconque efficacité. Je lui demande de m’écrire ce numéro sur un bout de papier, ce qui devrait tout de même rentrer dans le domaine de ses compétences sans trop lui fatiguer les méninges, lui disant que je vais appeler moi-même, parce que derrière moi la queue s’allonge.

 

Maintenant qu’elle est au téléphone, elle ne veut plus le lâcher. Je ne sais pas ce qui se passe dans sa cervelle, sans doute veut-elle démontrer qu’elle tient la situation en main, qu’elle est celle qui détient le pouvoir et que les gens de l’autre côté de son pupitre dépendent d’elle ; mais pour l’heure elle n’a en main que le récepteur du téléphone. Je m’agite et me retourne pour attirer son attention sur la queue qui s’allonge et elle se décide enfin à me donner ce foutu numéro. Il était temps, j’allais siffler. J’avais opté pour l’anglais, ça fait classe. Well, do you wanna hold this phone till tonight ?

 

De toutes façons elle n’aurait pas compris ce que je disais mais aurait reconnu la sonorité de la langue anglaise, m’aurait regardée avec des yeux ronds de grosse vache, j’aurais pris l’air de quelqu’un qui parle soudain pour soi-même à voix haute en se souvenant de quelque chose. Ça ne coûte rien et ça défoule, et c’est un bon moyen, entre autre, pour changer une situation et passer à autre chose rapidement sans se tuer à donner des explications.

 
Ecrit par Lory, à 10:55 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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Jeudi (06/12/07)
Belphégor

Toujours le mercredi dans cette bibliothèque. Il y a aussi des adolescentes. Celles-ci sont noires. Elles pépient comme des oiseaux, rient beaucoup, prennent des notes, elles semblent préparer à trois quelque chose comme un exposé pour l’école. Elles parlent bien français, elles, par contre, avec l’accent de Francilie, le même que le mien qui s’est émoussé au fil des années de ma vie d’expatriée. Elles me font sourire parce qu’elles me rappellent les années du lycée. Les filles travaillent plus et mieux que les garçons, c’est bien connu. Je les écoute attentivement parce qu’elles parlent le français contemporain que je connais assez mal : machin est « grave » et « y a pas photo » ; il faut que je me mette au goût du jour parce qu’il pourrait bien m’échoir d'ici peu une poignée d’heures d’enseignement d’anglais pour un cours de formation pour des bac-pro option secrétariat, tourisme, etc, et je ne peux tout de même pas avoir l’air de sortir de ma campagne au milieu de la Seine-Saint-Denis.

 

Tandis que je me bats avec le clavier azerty, moi qui suis habituée au qwerty, et n’arrête pas de mettre des Q à la place des A, des points-virgules à la place des points, que je me plante dans les accents et que des signes zarbis sortent à la place des parenthèses, je vois une sorte de fantôme, une ombre noire telle Belphégor sillonner les rayons de la bibliothèque d’un pas alerte. Ça m’intrigue parce qu’il y a bien dans le coin une école catholique mais aucune bonne sœur n’y enseigne, d’ailleurs les religieuses n’ont jamais pullulé dans cette ex-banlieue communiste, et les rares qu’on peut y croiser sont tout sauf des premières jeunesses alertes. Belphégor se rapproche de l’endroit où je suis et j’en reste médusée : vêtue d'une longue tunique noire lui tombant jusqu'aux pieds, gantée de noir, et portant tchador sur un bandeau blanc qui lui arrive au dessus des sourcils (raison pour laquelle je m'étais demandé s'il s'agissait d'une bonne-soeur un peu bizarre), non seulement elle porte une voilette noire qui lui pend sous les yeux jusqu’à hauteur de la poitrine comme un bavoir, mais elle porte une autre voilette maintenue par le bandeau blanc, devant les yeux, qu’elle rabat derrière la tête pour voir clair (quand même) quand elle se penche sur les rayons.

 

Un gamin d’une dizaine d’années portant une calotte contourne les étagères et vient près d’elle, son fils vraisemblablement. Ils parlent français entre eux, absolument sans accent, et en croisant son regard aux yeux clairs, bleus-gris, je me rends compte qu’en réalité il s’agit très certainement d’une française de souche convertie à l’islam, et affublée de la manière la plus rigoriste.

 

Elle passe et repasse devant moi avec son gamin, ils vont d’un pas conquérant qui n’est pas sans exhibitionnisme, le gamin a ce sourire propre à ces illuminés dont le narcissisme hypertrophié les font se sentir infiniment supérieurs aux infidèles. Si jeune ! Saint dieu des laïcs ! Ça a le don de m’exaspérer. Je sens monter en moi une colère sourde en voyant cette ombre noire virevolter autour de moi. Je sens que je vais siffler comme une vipère; c'est plus fort que moi. « O che sia carnevale ? » (c’est carnaval ?) dis-je entre mes dents mais distinctement quand elle me passe devant pour la énième fois. Si elle se sent en droit de se balader déguisée en Belphégor dans une bibliothèque, moi je me sens celui d’y siffler en italien. Le mot carnevale est trop proche de son équivalent français carnaval pour ne pas être compris, d’autant que je l’ai prononcé en en scandant chaque syllabe. Belphégor me regarde un instant avec sa voilette rejetée derrière la tête, ses yeux ont une expression curieusement vide, et moi je la fulmine du regard. Elle s’en va soudain à l’autre bout de la bibliothèque ; c’est ce que je voulais.

 

Le point me sort enfin à la place du point-virgule, j’ai domestiqué azerty.

 
Ecrit par Lory, à 13:20 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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Mercredi (05/12/07)
Banlieue-Banlieue

Durant la grève des transports qui crucifie les parisiens et qui me contraint à rester en banlieue, je vais à la bibliothèque municipale qui présente l’avantage d’un accès gratuit aux ordinateurs à ses inscrits, avec la carte de ma mère. Il doit bien y en avoir une trentaine, pris d’assaut à la sortie des écoles. Je prends donc la précaution de m’y rendre avant, mais le mercredi il n’y a pas d’heure qui tienne. Ce mercredi là j’en trouve quand même un où me caser le temps de relever mon courrier.

 

Tandis que je galère avec le clavier azerty auquel je ne suis pas habituée (et il faut que j’apprenne rapide à me dépatouiller avec), des adolescents sont affairés sur leur machine. Ce sont pour la plupart des petits maghrebins ; assis à deux devant un ordi, ils s’entraident pour le faire marcher et se donnent des conseils pour trouver ce qu’ils cherchent. Ils sont gentils et correctement habillés, comme tous les adolescents ils sont un peu empruntés et pas très sûrs d’eux, ils regardent parfois furtivement autour d’eux comme s’ils craignaient d’être réprimandés pour une raison quelconque alors qu’il n’y en a aucune puisqu’ils ne font rien de mal, sinon un peu de bruit, comme tous les gamins de leur âge. Entre eux, ils parlent arabe. Un arabe truffé de mots français, essentiellement des expressions techniques ou appartenant au vocabulaire de l’informatique. C’est assez comique parce que je ne comprends évidemment pas un mot de ce qu’ils se disent, mais de temps à autre j’entends « souris » blablabla « clique là »…blablabla « téléphone » et ainsi de suite. Ils parlent aussi français, évidemment, mais d’une façon assez incorrecte grammaticalement et avec un accent qui me rappelle celui des pieds-noirs d’autrefois, et qui me surprenait quand j’étais gamine.

 

Là, effectivement, l’école a raté quelque chose. Elle n’a pas réussi à leur enseigner le français correctement. Cela me surprend d’autant plus que les quelques petites maghrebines de ma classe, il y a 40 ans, le parlaient, elles, sans accent ou plutôt avec le même que nous. Mais elles étaient alors très minoritaires et s’assimilaient d’autant plus rapidement à la masse. Aujourd’hui, les choses sont différentes, les cités étant restées quasi exclusivement peuplées d’immigrés et de leurs descendants, ils parlent la langue de leur cité, qui n’est jamais le français, en famille comme au dehors, excepté à l’école, le seul endroit où ils doivent parler cette langue française qu’ils maîtrisent mal, et encore, pas durant les récréations à ce qu’il paraît.

 

Pourtant, nous ne sommes pas ici en zone 4 de la carte orange. Paris n’est pas très loin et le métro ou le RER ne sont qu’à quelques arrêts de bus ; on peut même facilement y aller à pied par les raccourcis. Et il n’y a pas, dans cette commune qui a été communiste durant des décennies, de grandes cités ni des forêts de tours. Elles sont relativement petites et noyées dans l’étendue des pavillons devenus coquets et même assez cossus avec le temps. Les bicoques d’autrefois sont devenues depuis longtemps des abris de jardin et de grandes maisons en style « Île-de-France », comme je les appelle, aux tuiles brunes, ont été construites sur les terrains. Mais, en passant un jour devant mon ancienne école primaire à l’heure de la sortie, je constate que les blancs ne représentent guère plus de 10 %. Où vont donc les 90 autres % essentiellement résidents dans les zones pavillonnaires où dans ces petites résidences récemment construites et qui ne font pas plus de quatre étages? Dans les écoles privées, même si elles sont loin de leur domicile. C’est là que vont aussi les enfants des italiens arrivés avec leurs parents quand j’étais enfant.

 
Ecrit par Lory, à 17:56 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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Lundi (03/12/07)
Paris-Banlieue

 Banlieue

 

Grise métallique et dure,
Comme la banlieue la vie.
Brouillard sur la zone
Lumière blafarde
D’un petit matin bruineux.

Le jour se lève et les phares balaient
L’asphalte visqueux.

Passants hâtifs pressant le pas
Vers d’improbables arrêts
De bus pour s’engloutir
Dans les bouches
Du métro et ressortir
Dans le froid d’un hiver brumeux.


 Paris

 

…et pourtant,
Quand la Seine s’étend
Comme un large ruban
Doré dans le soleil couchant,
La ville resplendit
Comme une belle femme élégante,
Charmeuse et intelligente.



 
Ecrit par Lory, à 09:54 dans la rubrique Paris-Banlieue.
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