Le protestantisme qui lui a été enseigné est une forme spontanément rousseauiste pourrait-on dire, tant il reflète la mentalité du temps, conçu avec naturel comme religion du cœur alliée à la vertu, relation de l’homme à Dieu autant qu’institution sociale où les Lumières et la religion ne sont pas contradictoires. De ce point de vue, celle qui est encore mademoiselle Necker appartient vraiment à
Le prestige de son père lui ouvre les portes de ce que l’Europe compte à la fois d’aristocrate et d’éclairé. Ses parents ne veulent pas d’un gendre catholique, mais il n’y a que peu de protestants dans la noblesse française. Et les amis suisses qu’ils fréquentent sont retenus trop provinciaux. Des prétendants aux noms prestigieux sont avancés: Axel Fersen, ambassadeur de Suède, Monsieur de Mecklembourg, Louis de Narbonne, qui deviendra un de ses amants par la suite, et même William Pitt, mais elle n’en veut pas, sont parmi les plus connus. C’est finalement le baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède et de dix-sept ans son aîné qui l’emporte. S’étant porté candidat alors qu’elle n’avait que treize ans, il avait su attendre, et leur mariage est célébré dans la chapelle luthérienne de l'ambassade de Suède. Elle en aura quatre enfants : Gustavine (1787 - 1789), Auguste (1790 - 1827), Albert (1792 - 1813) et Albertine, futur duchesse de Broglie (1797 - 1838).
Jeune femme
Ce mariage arrangé n’est pas un mariage d’amour, pas même un mariage heureux, et la jeune femme cherche ailleurs un bonheur qu’elle n’a pas. Sa vie sera d’ailleurs une quête perpétuelle d’un bonheur qu’elle ne trouvera guère.
A la suite de sa mère, elle ouvre un salon où elle reçoit les représentants d’une nouvelle génération aux idées neuves et généreuses qui sont aussi les siennes, celle qui est contemporaine et a parfois participé à la guerre d’Indépendance en Amérique.
Voyant
Napoléon
Elle rencontre le 3 janvier 1798 celui qui n’est encore que le général Bonaparte, voyant en lui un libéral qui fera triompher le véritable idéal de
Mme de Staël doit revenir de ses illusions sans encore se rendre compte de l’étendue du pouvoir qu’il aura par la suite, et qu’il a déjà, après le coup d’état du 18 Brumaire et la promulgation de l’an VII. Le dictateur commence à poindre et les voix se taisent. C’est dans une semi clandestinité que beaucoup vont devoir commencer à vivre, et c’est dans l’interdit qu’elle continuera son œuvre de philosophie politique. Plutôt que se réfugier dans le silence, elle publie les romans qui vont lui valoir une grande célébrité, mais pour elle commence un exil qui ne fera que s’accentuer.
L’exil
Eloignée de Paris dont elle ne doit pas s’approcher à plus de «quarante lieues», en 1803, son exemple est très représentatif du combat inégal et perdu d’avance que peuvent se livrer le pouvoir absolu d’un tyran et un artiste ou un écrivain de tous temps. Avec la publication de Delphine, roman où se mêlent les questions politiques et sociales de son temps, l’anglomanie de son époque, la supériorité du protestantisme sur le catholicisme, le divorce, et qui professe ouvertement que
Restée veuve en 1802, elle entretient dès lors une longue relation avec Benjamin Constant qu’elle a rencontré en 1794 et qui la rejoint dans son exil. Vaudois comme elle, l’homme de sa vie fut en définitive issu de la même région et protestant comme elle, mais n’aima vivre qu’à Paris également. Il ne parviendra à se fixer ni auprès d’elle ni ailleurs. Cette liaison, longue et orageuse, est l’une des plus surprenantes que nous ait laissé l’histoire du monde littéraire, perdurant sans que chacun puisse vivre avec ou sans l’autre, liaison qui leur fut sans doutes d’un grand enrichissement intellectuel mutuel. "Je n’avais rien vu de pareil au monde» écrira-t-il, «J’en devins passionnément amoureux». Mais l’emprise tyrannique qu’elle aura sur lui ne tardera pas à lui peser par sa volonté de tout régenter et quand, libéré d’elle lorsqu’elle se fut remariée avec Albert de Rocca, jeune officier suisse, en 1811, Constant s’éprendra d’une passion malheureuse pour Mme Récamier, son ancienne amante écrira de lui : «Un homme qui n’aime que l’impossible».
De fin 1803 au printemps 1804, elle fait un voyage de plusieurs mois en Allemagne avec Benjamin Constant où elle est reçue dans les cours princières telle un chef d’état. Elle y apprend l’allemand et rencontre Schiller, Goethe, et tout ce que l’Allenagne compte alors d’artistes. Elle y découvre une littérature inconnue en France et qu’elle fera connaître aux français par la suite avec son ouvrage De l’Allemagne et, si les français n’eurent pas d’autre idée que la sienne de ce pays jusqu’en 1914, c’est qu’ils n’en eurent guère connaissance qu’à travers ce qu’elle en dit, lançant la légende d’une Allemagne sentimentale et candide, laissant cependant place aux influences italiennes. Elle entreprend d’ailleurs un voyage en Italie à la fin de la même année. Il faut, dit cette cosmopolite, avoir «l’esprit européen».
De retour à sa base qu’est devenue pour elle par la force des choses son château de Coppet dan l’europe Napoléonienne, elle y commence Corinne ou l’Italie, un roman où l’héroïne, à la recherche de son indépendance, comme son auteure, meurt de cette quête en des temps qui pour les femmes ne s’y prêtent guère, tandis qu’elle-même n’en meurt pas bien au contraire.
C’est après la parution de De l’Allemagne, imprimé en 1810 mais fait saisir par Napoléon et qui ne paraîtra en France qu’en 1814 que commencent véritablement pour elle les Dix années d’exil qui deviendront à leur tour une œuvre par la suite, mais qui furent d’abord un violent pamphlet contre l’Empereur qui la pourchasse et la fait espionner sans trêve, interdite de publication. C’est alors qu’elle s’enfuie avec ses deux enfants encore en vie et M. de Rocca, qui est deux fois plus jeune qu’elle. Mais fuir l’Europe napoléonienne n’est pas chose facile. Espérant rallier l’Angleterre, elle est contrainte de passer par
Le retour
De nouveau à Paris, elle reçoit rois, ministres et généraux. Ne vouloir voir en Madame de Staël que l’écrivain qu’elle fut serait méconnaître un autre aspect négligé de sa personnalité. On a souvent à l’instar de Napoléon voulu y voir une intrigante rompue à la vie de salon, mais ce fut aussi un personnage d’une réelle envergure politique. L’Europe n’avait alors connu que quelques souveraines et beaucoup de courtisanes ayant eu parfois plus de pouvoir que le roi telle
L’histoire littéraire compassée que nous connaissons tous nous a laissé d’elle l’idée d’une femme mijaurée excessivement sentimentale ou tyrannique en amitié et en amour. Sans doute était-elle exaspérante par ses travers, mais ce fut avant tout une pionnière dans tous les domaines ; en littérature où elle lance le "romantisme", mot qui est d’elle. Elle est féministe, mot qui n’existe pas encore, ses romans présentent la femme victime de contraintes sociales l’empêchant d’affirmer sa personnalité et d’avoir droit à un bonheur qu’elle revendique pour toutes en le revendiquant pour elle-même. Un droit au bonheur qui se confond avec le droit d’aimer, une idée qui sera reprise par George Sand. Une femme étrangement moderne dans une Europe qu’elle parcourt en tous sens et qu’elle brasse dans ses livres mieux que Napoléon avec ses armées.
A.P. in arte Floreal scrisse, 11 janvier 2006