Le "Chef de famille"
C'était il y a presque trente ans, j'étais alors jeune mariée, et nous étions mon mari et moi momentanément résidents en Italie, car à l'époque nous n'étions pas fixés en un lieu précis et voyagions beaucoup, pas seulement entre la France et l'Italie. Mon mari m'avait demandé d'aller à la mairie retirer un quelconque papelard administratif qu'il ne pouvait aller chercher lui-meme durant les heures d'ouverture, et dont nous avions besoin.
Je trouvai là un employé adipeux aux cheveux rares dont les pellicules tombaient sur ses lunettes sales, derrière lesquelles il me regarda d'un air goguenard et imbécile en machonant un bout de cigare éteint, me disant avec une évidente satisfaction : "mais je ne peux pas vous le donner, vous n'etes pas le chef de famille". Je le regardai interloquée (et un peu dégoutée par son aspect) en lui disant que c'était mon mari qui m'avait demandé de venir. "Il doit venir en personne", me répondit-il; et il n'y eut rien à faire.
En France, quelques années avant, le statut de "chef de famille" avait été aboli, et son autorité remplacée par celle d' "autorité parentale". La meme chose d'ailleurs ne tarda pas à etre instaurée en Italie également.
Combien de fois depuis lors ne me suis-je pas heurtée à des remarques, réflexions, meme (apparemment) anodines, profondément sexistes, sciemment ou non! Je serais bien en peine de les compter tant c'est usuel et ordinaire, pire, considéré normal. On n'y prète guère attention tant c'est intégré dans les moeurs, mais c'est un combat et un malaise quotidien et usant.
Je me souviens de cette fois là parce que ce fut le déclic. Avant, je n'y avais jamais fait attention, je me croyais benoitement l'égale d'un homme tant je ressentais cette fierté d'appartenir à la première génération de femmes maitrisant le controle de sa fécondité. J'étais diplomée, je parlais (déjà) courament trois langues, et j'avais conscience d'etre plus compétente que bien des hommes y compris plus vieux que moi. J'ai vu depuis beaucoup de crétins faire carrière tandis que le fait d'avoir des enfants m'a définitivement coulée.
Je trouvai là un employé adipeux aux cheveux rares dont les pellicules tombaient sur ses lunettes sales, derrière lesquelles il me regarda d'un air goguenard et imbécile en machonant un bout de cigare éteint, me disant avec une évidente satisfaction : "mais je ne peux pas vous le donner, vous n'etes pas le chef de famille". Je le regardai interloquée (et un peu dégoutée par son aspect) en lui disant que c'était mon mari qui m'avait demandé de venir. "Il doit venir en personne", me répondit-il; et il n'y eut rien à faire.
En France, quelques années avant, le statut de "chef de famille" avait été aboli, et son autorité remplacée par celle d' "autorité parentale". La meme chose d'ailleurs ne tarda pas à etre instaurée en Italie également.
Combien de fois depuis lors ne me suis-je pas heurtée à des remarques, réflexions, meme (apparemment) anodines, profondément sexistes, sciemment ou non! Je serais bien en peine de les compter tant c'est usuel et ordinaire, pire, considéré normal. On n'y prète guère attention tant c'est intégré dans les moeurs, mais c'est un combat et un malaise quotidien et usant.
Je me souviens de cette fois là parce que ce fut le déclic. Avant, je n'y avais jamais fait attention, je me croyais benoitement l'égale d'un homme tant je ressentais cette fierté d'appartenir à la première génération de femmes maitrisant le controle de sa fécondité. J'étais diplomée, je parlais (déjà) courament trois langues, et j'avais conscience d'etre plus compétente que bien des hommes y compris plus vieux que moi. J'ai vu depuis beaucoup de crétins faire carrière tandis que le fait d'avoir des enfants m'a définitivement coulée.
Ecrit par Lory, le Samedi 28 Avril 2007, 16:53 dans la rubrique Florycalque.
Commentaires :
Emelire
01-05-07
à 00:44
tu as toute ma sympathie, même si le contact est virtuel. Ici on parle normalement d'autorité parentale mais sur certains questionnaires, pour le centre de loisirs des enfants, j'ai vu les mots "chef de famille" et là j'ai barré et mis autorité parentale et nous avons signé ensemble. "Le chef", "où est le chef" voilà comment mon géniteur appelle mon mari, bien sûr lui a toujours disposé et fait n'importe quoi de son statut de "chef". Il y tient toujours beaucoup. Les enfants, je comprends que ça nous coule total. A un moment je gagnais autant que lui. Je travaille autant voire plus, mais... j'ai pu organiser mes horaires et trouver un boulot compatible avec la vie familiale. Le chef n'a pas fait cet effort, parce qu'il n'a pas été éduqué à considérer ça comme son rôle principal. (même s'il s'occupe bien des enfants), etc. Je dois dire que la violence masculine dans l'enfance et l'adolescence m'a rendue féministe par réaction. La piqûre de rappel ça a été concernant la maternité. "et vous voulez des enfants ?" cette phrase devrait être hors la loi. En principe elle l'est bien entendu. mais comme toutes les discriminations, dur dur de le dénoncer et de le faire reconnaître comme tel...
Anonyme
01-05-07
à 18:44
Tu t'es mariée, ma belle? J'y crois pas!
Remarque, le fait de ne pas me marier m'a fait accéder au rang de "chef de famille" mais ne m'a pas mise pour autant à l'abri des imbéciles.
Les "mademoiselle" qui s'éternisent en dépit de mes 4 enfants largement adultes (les impôts et les banques sont particulièrement indécrottables) l'employée de mairie qui fait la moue "on y comprend rien" devant notre livret de famille de "con-cu-bins", les gens qui tiennent à me faire l'honneur de m'appeler du nom de mon conjoint et qui s'étonnent que je n'en sois pas honorée, les impôts (encore eux) qui nous convoquent tous deux parce que suspects de refuser le mariage pour leur échapper (alors que c'est le contraire, le mariage nous favoriserait).
Remarque, le fait de ne pas me marier m'a fait accéder au rang de "chef de famille" mais ne m'a pas mise pour autant à l'abri des imbéciles.
Les "mademoiselle" qui s'éternisent en dépit de mes 4 enfants largement adultes (les impôts et les banques sont particulièrement indécrottables) l'employée de mairie qui fait la moue "on y comprend rien" devant notre livret de famille de "con-cu-bins", les gens qui tiennent à me faire l'honneur de m'appeler du nom de mon conjoint et qui s'étonnent que je n'en sois pas honorée, les impôts (encore eux) qui nous convoquent tous deux parce que suspects de refuser le mariage pour leur échapper (alors que c'est le contraire, le mariage nous favoriserait).
Re:
Oui j'ai été mariée, j'avais 23 ans. Je suis divorcée aussi. Je n'ai pas cru nécessaire de me remarier par la suite. J'ai donc "concubiné" aussi.
Re:
Merci pour ta sympathie, emelire, et pour ta solidarité aussi. Oui, cette lutte contre ces discriminations durent toute la vie en fait. Et parfois, les bras vous en tombent...