Je fuis les
plages où les gens s’entassent, mais je ne m’éloigne cependant jamais trop de
mes semblables. Sait-on jamais…
Une des rares
fois de ma vie où je me suis trouvée dans un genre de difficulté que chaque
femme connaît malheureusement au moins une fois dans sa vie, c’était
précisément dans les dunes.
J’avais alors une
trentaine d’années, et ma fille était un bébé de quelques mois. Je l’avais
laissée en fin d’après-midi avec sa grand-mère, et pour une fois depuis de longs
mois, j’étais allée seule à la plage. Pour rentrer plus vite et ne pas les
faire attendre, au lieu de prendre l’allée centrale, j’avais coupé à travers la pinède. J’y avais à peine pénétré que je me trouvai au détour d’un buisson
face à un individu dont les yeux jaunes ne laissaient aucun doute sur ses
intentions. Il m’avait probablement épiée à mon insu. J’eus peur.
L’effet de la
surprise, d’abord ; je ne m’attendais pas à tomber sur quelqu’un. Je
m’arrêtai net, saluai, et compris immédiatement le danger. Je n’eus pas le
temps de réagir, il m’avait alpaguée. Quand j’eus le réflexe de m’enfuir, il
était trop tard. Il me tenait. Je tâchai alors de récupérer mon sang-froid,
évaluant mes possibilités de m’échapper. Il devait avoir la cinquantaine,
bedonnant mais râblé. Il avait commencé à me palper et à me demander d’être
« gentille ». Et je compris que j’avais intérêt à l’être pour ne pas
me trouver dans un plus grand danger. Gagner du temps. Me laisser palper et me
raidir, contrôler ma respiration, préserver mes forces. Je dois beaucoup au
sport. Toutes les femmes devraient en faire. La pratique du sport donne confiance
en son propre corps, permet d’en mesurer les capacités physiques et les
limites, de se mouvoir avec aisance et agilité.
Et je commençai
à lui parler… de sa femme. « Mais pourquoi me demander ça à moi ? Il
n’était pas marié ? Si, naturellement. Alors pourquoi il ne le faisait pas
avec elle ? » Cela eu pour effet de semer la confusion dans sa
cervelle de bestiau humain. « Elle ne veut jamais, et puis j’ai pas envie
avec elle, toi t’es mieux ». Ben voyons, fallait aussi que je le console.
Voilà, ce qui l’intéressait « lui », et ses couilles.
L’ "Autre" n’était qu’une chose qui devait être à sa disposition.
Parler lui avait fait desserrer son étreinte. Nous étions encore debout. J’en
profitai pour respirer un grand coup en simulant une défaillance, et lui
plantai mes deux poings dans son gros estomac de toutes mes forces. Le souffle
lui manqua, puis il rugit, me menaçant de me tuer. Mais j’avais déjà piqué un
cent mètres comme je n’en ai jamais couru de ma vie, et dans ce temps là je
courais vite ; sautant par dessus buissons et taillis, perdant mes
chaussures, j’étais déjà loin.
Je ne cessai de
courir, hors d’haleine, qu’une fois rejoint l’allée centrale, me mettant à la
remorque d’une famille qui rentrait de la plage, m’engouffrai dans ma voiture (1)
et rentrai chez moi. Je sentais encore sur moi l’odeur rance et graisseuse du
dangereux bestiau imbécile. Les nerfs lâchèrent enfin, et je me mis à trembler
et à pleurer sans pouvoir m’arrêter. Je me mis sous la douche ; je ne sais
plus combien de temps j’y restai. Ne me voyant pas revenir chercher ma fille,
mon mari avait téléphoné mais je ne l’avais pas entendu. Il avait fini pas
venir voir si au moins j’étais à la maison, et il me trouva assise effondrée
sous la douche dans un nuage de vapeur, d’où il me tira, éberlué.
Ce ne fut pas une
mince affaire. Je n’ai pas voulu porter plainte. Pour les flics d'un
commissariat de province d’un pays latin
il y a plus de vingt ans, moi la victime aurait été considérée comme fautive.
Mais pour mon beau-père, dès qu’il fut au courant, c’était une question
d’honneur. Il se mit en chasse, fit la tournée des bars, et finit par savoir de
qui il pouvait s’agir. Il voulait aller lui ruiner la gueule avec mon mari.
J’eus toutes les peines du monde à l’en dissuader, et mon mari, plus moderne
que son père, se rangea de mon avis.
Une semaine plus
tard, la bagnole du type était bonne pour la casse. Pneus tailladés, vitres
réduites en miettes, carrosserie cabossée.
(1) j'avais un sac en bandouillère, croisé, qui ne m'avait pas quittée. J'étais donc toujours en possession de mes clés.
lorycalque
Post scriptum
Toute femme qui a vécu ce genre de triste expérience (et pire) se reconnaitra sans doute comme je m'y suis reconnue dans cette photo trouvée en haut à gauche sur le blog de Grabuge. (Qui je pense ne m'en voudra pas d'avoir repris cette image).