J’ai découvert le
blog très intéressant d’une très jeune femme issue de l’immigration, qui porte
le foulard, et qui parle de son expérience de « femme voilée », de
son malaise au sein de la société française, de ce qu’elle ressent dans le
regard que portent les autres sur elle: les Chroniques d'une voilée désabusée.
Jeune étudiante,
elle a un bagage intellectuel et culturel que peuvent lui envier nombre de
français de souche. Elle possède en outre une excellente maîtrise de la langue
française, qui est sa langue maternelle, et qu’elle manie avec une aisance
remarquable ; c’est même quelqu’un qui, à mon avis, possède d’indéniables
qualités d'écriture, d’autant plus remarquables qu’elle a vingt ans seulement
(du moins, c’est ce qu’elle dit). Une personne qui « sait écrire »,
ce qui n’est pas donné à tout le monde. Son blog n’en est que plus intéressant,
parce qu’il est intelligent.
Je l’ai
pratiquement lu en entier, y compris les commentaires, eux aussi intéressants,
autant que révélateurs. En le lisant, son désarroi me gagne en ce qu’il rejoint
le mien qui est celui d'une autochtone. Je comprends son désenchantement, et le
pessimisme mélancolique qu’elle exprime me touche parce que, comme elle, je ne
vois guère de solution à un problème des plus récurrents actuellement au sein
de la société française, et européenne en général, face à l’islam.
D’un point de vue
critique, le plus objectivement qu’il me soit possible, il me vient à faire
quelques considérations.
Tout d’abord, il
s’agit d’une jeune femme appartenant à la petite bourgeoisie issue de l’immigration,
vivant dans une zone pavillonnaire en région parisienne, dans une réalité bien
différente de celle des grandes cités. Une réalité que je connais bien,
s’agissant de quartiers mixtes où les familles comme la sienne ont généralement
racheté le pavillon de petits vieux partis en retraite dans une maison de
campagne en province.
Elle a choisi de
porter le foulard, non pas tant pour une motivation d’ordre religieux, bien
qu’elle se déclare croyante, et même pratiquante, mais sans plus, comme nombre
de chrétiens se contentent d’aller à la messe à Pâques et à Noël ou en quelques
circonstances telles qu’un mariage ou un baptême, en somme, mais pour une
question identitaire. Parce qu’elle ne se sent pas reconnue comme française à
part entière de par ses origines, dans le pays qui est pourtant le sien ;
Ce qui n’est
guère une situation agréable, il faudrait vraiment être dépourvu de la moindre
humanité pour ne pas s’en rendre compte, ou imbécile pour ne pas le comprendre.
Il ne s’agit bien
évidemment pas d’une paysanne arrivée empaquetée de la tête aux pieds et
s’exprimant difficilement en français, ni de ces filles des cités arrivées avec
difficulté jusqu’en classe de troisième et ayant abandonné l’école, habillées
sans goût à la façon musulmane contemporaine standard. Non, on comprend très
bien en la lisant qu’elle s’habille comme n’importe qu’elle jeune femme de son
âge qui s’habillerait convenablement ; d’ailleurs elle dit elle-même se
vêtir chez H&M entre autre, seules les jupes courtes ne doivent pas faire
partie de sa garde-robe, ni les T.shirts courts dénudant le nombril, une
question de pudeur, ultérieure motivation qu’elle donne a son choix de porter
le foulard. Elle porte simplement un foulard sur la tête, que j’imagine sans
peine assorti au reste de sa toilette ; probablement élégante, sans doute
maquillée normalement. Un foulard sans doutes joli et de bonne qualité, mais
qui fait toute la différence avec les autres françaises.
La question de la
pudeur est quelque chose que je comprends tout à fait, d’ailleurs chez Mauvaise
Herbe toujours, on trouve ce texte, en trois parties, très intéressant à ce propos. Il est vrai que
le regard masculin gêne, inhibe et dérange les femmes, les contraint selon les
endroits et les situations, pour être laissées en paix et passer le plus possible
inaperçues, à être éternellement en T.shirts ample sur jean, à s’habiller de
façon masculine.
Ce que par contre
je perçois en tant que femme autochtone et qu’elle ne semble pas percevoir est
en quelque sorte l’envers de son point de vue. J'aime bien voir l'envers des choses, quel que soit le point de vue qu'on me présente.
Il m’est arrivé,
précisément chez Carrefour, dont elle parle d’ailleurs, de croiser dans le
centre commercial de jeunes franco-maghrébins musulmans occupés à regarder
passer les filles et à faire leurs commentaires à haute voix, pas toujours très
flatteurs, et de les avoir entendu dire, à plusieurs reprises au passage de
jeunes filles voilées, façon « sans goût à la façon musulmane
contemporaine standard », des « Total respect mes soeurs ». On
n’a donc pas droit au respect si on n’a pas ce fameux foulard sur la
tête ? Et vaut-il mieux être empaquetée dans un accoutrement informe pour
avoir la paix que de s’habiller chez H&M et porter un joli foulard dans le
même ton que le reste ?
Cela me laisse
tout de même une certaine amertume. Et je me souviens de ma fille alors âgée de
seize ou dix-sept ans, allant justement chez H&M et autre Pimkie au centre
commercial, se faire systématiquement emmerder par ce genre de types venus de
leur cité, d’autant plus qu’elle est brune et de type méditerranéen. Elle avait
alors fort judicieusement pris l’habitude de répondre en italien, jamais en
français, signifiant par le biais linguistique qu’elle n’appartenait pas à la
communauté musulmane. Cela avait l’effet immédiat de faire cesser tout
harcèlement.
Autrefois, il y a
plus d’une trentaine d’années, la cité (on disait alors les HLM) la plus proche
de chez moi n’était pas celle des alentours qui ait la plus mauvaise
réputation. Il courait cependant des rumeurs sinistres de viols collectifs dans
les caves, et à vrai dire, si l’on ne courait guère de risques à la traverser
en plein jour, il valait mieux éviter d’y passer de nuit, surtout si l’on était
une fille. A l’époque, elle était peuplée de blancs, « petits
blancs » pour beaucoup mais pas seulement puisqu’il y avait aussi les
instits de l’école, quelques profs, des employés ; ce sont les premiers à
l’avoir quittée pour un pavillon, et au fur et à mesure tous les blancs sont
partis, seuls les plus vieux aux maigres retraites y sont restés. Elle s’est
ensuite peuplée d’immigrés, et les mêmes histoires de viols dans les caves
subsistent, ce qui n’est donc pas une spécificité de la population actuelle.
Là où l’amertume
devient désarroi, c’est lorsqu’elle dit que, porter le foulard, c’est vivre
autrement, selon d’autres paramètres. Et vivre selon ses paramètres, c’est être
musulmane, devenir musulmane. Et là, en dépit de toute la compréhension et même
la sympathie que je peux éprouver pour elle en lisant son blog, un mur
infranchissable s’élève, irrémédiablement.
Sans doutes
préfèrerais-je avoir une jeune collègue comme elle plutôt qu’une émule de
Boutin. Son foulard sur la tête pour parler par-dessus un ordinateur ou faire
la pause café ne me dérangerait pas particulièrement. A vrai dire ça me serait
même indifférent. Pour peu qu’elle ait le bon goût de ne pas me parler du bon
dieu, ça me plairait infiniment plus qu’une emmerdeuse avec une croix en
sautoir me remettant le petit Jésus sur le tapis à tout bout de champ.
La question n’est
pas tant dans les rapports personnels, parce qu’on a ou pas des atomes crochus
avec les gens selon les hobbies, les goûts personnels artistiques ou
littéraires, les affinités au niveau du caractère, etc. Le problème se pose,
pour moi, au niveau de la représentation qu’on se fait d’une communauté et plus
encore, et surtout, de l’impact qu’a celle-ci sur vous au quotidien.
Je vais tenter de
m’expliquer. Quand je suis arrivée, depuis Orly, à la station du RER où je suis
descendue, et qui était autrefois une gare de banlieue où il m’arrivait de prendre
le train jusqu’à Gare du Nord, vers sept heures et demi, j’étais la seule
blanche. Je n’avais tout simplement pas l’impression d’être en France, chez
moi, dans le pays où je suis née, où sont nés mes aïeux depuis des siècles.
Certes, la gare n’était plus la même, elle avait été modernisée. Mais ce
n’était pas la cause première de mon dépaysement. Certes, les gens parlaient,
entre autre, français, mais un drôle de français ; pas celui que je parle
habituellement avec ma famille. Il n’y avait que des noirs, disons plutôt en
dégradé du clair au foncé. En observant plus attentivement en attendant
l’autobus qui tardait à venir à cette heure, me sont apparues deux catégories
bien distinctes. Cela ne dépendait pas tellement de la couleur, si je puis
dire, mais de tout un ensemble de facteurs différents selon lesquels il m’était
possible de déterminer qui était français et qui ne l’était pas. Il y avait par
exemple cette femme qui parlait dans une langue inconnue dans son portable,
flanquée de trois mouflets qui ne devaient pas avoir plus de dix-huit mois de
différence, et qui était enceinte d’un quatrième. Cette autre avec sa fille
d’environ sept ans, plutôt bien habillées, qui ne prenait pas le bus parce que
son mari l’attendait en voiture. Cette autre encore assise sous l’abris du bus
et plongée dans un gros bouquin et qui n’en aurait pas levé le nez même au son
de la fanfare. La seule chose « parisienne », ou plutôt citadine,
qu’avaient en commun ces gens, c’était de ne pas s’adresser la parole. En
province, les gens ne restent pas dix minutes à attendre un bus sans se mettre
à parler de la pluie et du beau temps.
Quelques jours
plus tard, je me suis aperçue que faire les courses n’était pas simple, bien
que les boutiques et les supermarchés ne manquent pas. Là encore, je vais
tenter de m’expliquer. Si l’on est français de souche, et donc généralement
dans une zone pavillonnaire, de plus en plus souvent mixte dans une commune de
Seine-Saint-Denis, c’est un peu le parcours du combattant. En fait, on peut se
ravitailler en produits alimentaires autochtones soit au marché, soit dans les
quelques boutiques qui subsistent comme les charcuteries, soit dans un
supermarché relativement *chic*, soit en allant chez Carrefour. Sinon, les
autres commerces et gérances de petites surfaces sont tenues par des arabes. On
n’y trouve donc pas de porc sinon sous plastique dans les supérettes et de la
pire qualité qui soit, et très peu de choix dans la variété. Pareil pour les
vins. On trouve évidemment tout le reste, à des prix très abordables, et de
qualité tout à fait correcte. Et tout ce qu’on veut comme plats cuisinés
asiatiques ou maghrébins. J’aime bien les nems, le cous-cous et les tagines
aussi, mais une fois la semaine, ça me suffit. Le reste du temps, j’ai envie de
manger gaulois. Je suis entrée un jour dans une boulangerie où j’avais
autrefois l’habitude d’aller. Une jeune femme sortit de l’arrière boutique, en
blouse blanche à liseré, avec un foulard couleur saumon sur la tête ; la
gérance avait changé. Je lui ai acheté ma baguette, bien sûr, mais je n’y suis
jamais retournée. Derrière moi sont entrées des personnes qui ont salué la
boulangère dans leur langue ; en France, j’ai envie d’entendre parler
français.
Alors,
inexorablement, les blancs s’en vont, les commerces aussi, et les habitudes
alimentaires traditionnelles s’en vont avec eux.
Des anecdotes sur
la vie quotidienne en banlieue, je pourrais en raconter à la pelle. Comme celle
du père d’un des amis de mon frère. Ce vieil espagnol, adhérent à
Elle ne manque
pas de lucidité, la blogueuse voilée qui est à peu près de l’âge de ma fille,
quand elle dit que, pour sa génération, les dés étaient pipés et que les jeux
étaient faits d’avance. Encore que la précarité soit un lot commun pas
seulement pour ses congénères indigènes.
Elle espère mieux pour la prochaine, qui sera celle de mes petits-enfants.
Peut-être. Je ne sais pas. Peut-être
parce que je suis plus désenchantée qu’elle, étant plus vieille, et que je ne
me fais guère d’illusion sur le genre humain, mais ça n’en prend pas le chemin.
Dans les conditions actuelles, cela me semble parfaitement impossible. Il
faudrait une politique résolument différente de celle qui est. Peut-être celle
de mes arrières-petits-enfants connaîtra-t-elle une amélioration… si le monde
ne pète pas avant.
Commentaires :
Post scriptum: Va te faire lapider
"(notons au passage que même dans les universités parisiennes, Tariq Ramadan n'est pas épargné. Pauvre de lui! En tout cas, c'est trop d'honneur pour moi que de me comparer à T. Ramadan)."
Peu m'importe le contexte, qui selon elle ne s'y prétait pas, elle a d'ailleurs de ce point de vue raison, mais quand elle dit que même dans les universités parisiennes, Tariq Ramadan n'est pas épargné, je ne vois pas pourquoi il devrait l'etre. Reste que c'est trop d'honneur pour elle que d'etre comparée à frère Tariq, ce qui est significatif.
Je n'ai pas de sympathie pour Robert Redeker, mais il a tout de meme reçu des menaces de mort de la part des petits frères de la voilée désabusée. Quand Hani frère deTariq Ramadan est venu à Lyon, il n'en a reçu aucune. Il n'y eut que l'Association Regard de femmes à manifester contre l'arrivée du prédicateur pour "enseigner". Rappelons quand meme que ce brave Hani est célèbre, entre autres, par ses propos expliquant le sida comme une punition divine, et demandant l’application de la lapidation pour les femmes adultères.
...et fouetter par les pasdaran
je ne me considère pas comme féministe (chiennes de garde and co), humaniste oui. Je n'aime pas les clivages entre les sexes.
Dans ma religion, l'homme et la femme sont complémentaires. Il y a une égalité de droit entre les deux sexes.
C'est-y pas beau ça ? Du plus bel essentialisme qui soit.
Va te faire fouetter par les pasdaran, ils ont un sens certain de la complémentarité et de l'égalité de droit entre les deux sexes.
lorycalque
Conclusion
A 20 ans on a une vie devant soi pour changer, d'accord, mais moi j'ai passé l'age des changements, et je garderai certaines convictions.
Ces gens là veulent la guerre, et sans doutes ils l'auront. Malheureusement.
Je ne m'imagine décidément pas dans une Europe islamisée, et c'est justement ce qu'ils veulent, ces indigènes &Cie.