Un article sur l'argument, écrit par une femme et récemment publié par (le très macho) Libération a reçu un flot de protestations . Les réactions qu'il a suscité sont quasi exclusivement féminines et c'est ce qui a attiré mon attention. Le regard qualifié d'ironique et même méprisant sur les femmes qui allaitent de la part de l'auteure de l'article est ce qui a soulevé leurs protestations. L'article en question est pourtant moins dur que les propos généralement tenus à longueur de pages par ces adjudantes féministes sur les forums à ce sujet.
Il est rare que la presse, dominée qu'elle est par les hommes, s'intéresse à des questions féminines, et quand elle le fait, ce sont curieusement des hommes, estimés spécialistes, qui sont invités pour en parler. En l'occurrence, Libé s'est intéressé à un sujet féminin "traditionnel"; étant beaucoup moins diligent pour s'intéresser à des sujets qui le sont moins, comme l'emploi et l'absence de femmes aux postes de responsabilité (comme dans la presse écrite par exemple), et ayant trouvé une journaliste plutôt machotte et dans le ton adopté en général par une presse essentiellement masculine à l'égard des femmes et de tout ce qui les concerne.
Si la journée d'action en faveur de l'allaitement était principalement organisée par la Leche League, suspectée de "fondamentalisme naturaliste", les réactions à l'article de Libération émanaient de femmes n'ayant aucun rapport avec cette association, ce qui prouve bien qu'aujourd'hui les femmes sont sensibles à ce thème. Il est vrai que c'est un débat essentiellement franco-français. 95% des allemandes allaitent, 99% des suédoises (contre 40 à 60% en France selon les sources et la durée), et qui pourrait se résumer par l'intervention de l'une d'elle: traitées de vaches laitières si elles allaitent au sein, de biberonnantes ou de mères dénaturées si elles allaitent au biberon, quoi qu'elles fassent, les femmes sont toujours dénigrées, méprisées et culpabilisées.
Ce qui suscite en France un regard ironique et des réflexions désobligeantes est pourtant non seulement naturel en soi, mais usuel et pas seulement dans les pays dits par euphémisme en voie de développement où le lait maternisé est un luxe, cher ou introuvable. Au Canada, en Scandinavie où la politique relative à tout ce qui a trait à la maternité est infiniment plus avancé qu'en France, il existe des salles d'allaitement dans les lieux publics, et en général le regard des autres n'est pas gênant. Dans les pays méditerranéens du sud de l'Europe, cela ne suscite pas un intérêt particulier, on laisse en général le choix aux femmes sans insister sur une forme ou une autre dans les maternités.
L'allaitement en général et au sein en particulier reste, comme l'accouchement, ou la mort, un tabou. Quelque chose que l'on a tendance à cacher, qu'on refuse de voir. Une femme qui allaite au sein sur un banc public dans un square dérange plus que les affiches publicitaires qui s'étalent dans la ville sous les yeux de tous et qui présentent des femmes les seins à l'air pour vendre n'importe quoi.
Ce sont donc les posts des intervenantes que je citerai directement, restituant ainsi une parole féminine trop souvent occultée. Mais auparavant, il me semble important de dire d'emblée et clairement que toutes les femmes ne peuvent pas allaiter au sein, ce qui peut causer chez certaines de terribles souffrances dans le cas de ragades ou d'autres pathologies, et qu'il n'y a jamais aucune raison de les culpabiliser, dans un cas comme dans l'autre.
Tant celles qui allaitent ou ont allaité au sein que celles qui ont allaité au biberon se plaignent des pressions qu'elles ont dû subir. Le fait est que l'OMS conseille l'allaitement au sein dans les deux premières années de la vie. Il y a cependant des femmes qui poursuivent cet allaitement bien au de-là, et qui refusent d'être stigmatisées pour cela; elles n'ont pas tort, car cela fait partie de leur liberté.
Leche League à part, association à but non lucratif et apparemment laïque, que je ne connais que par oui-dire, il ne me semble pas que l'allaitement au sein puisse être suspecté de "fondamentalisme naturaliste", et l'on peut tout aussi bien objecter que les pressions pour mettre le nourrisson au biberon, ne serait-ce que de la part de la publicité faite pour le lait maternisé industriel ne sont pas moindres que la promotion de l'allaitement maternel. Il est possible que certaines associations, y compris cette Leche League, cachent "un sournois retour en arrière traditionaliste et obscurantiste". Je ne pense cependant pas qu'on assiste à une "normalisation de l'allaitement maternel", mais bien plutôt à une réelle revendication des femmes à nourrir leur bébé comme elles l'entendent pour se réapproprier l'usage de leur corps dans ce domaine là également, loin de diktats qui leur sont étrangers d'une part, et d'autre parce que leur génération est désormais sensibilisée aux valeurs écologiques; je ne vois pas qu'il faille s'en plaindre.
Quoi qu'il en soit, outre aux bienfaits que le lait maternel apporte à la santé des nourrissons, il présente indéniablement l'avantage de la gratuité et de la commodité. Il ne faut pas se leurrer non plus, dans un cas comme dans l'autre, cela représente un certain nombre de contraintes.