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Italie: La rébellion de la jeunesse
--> Universités en grève et manifestations
Le mouvement de protestation, depuis déjà plusieurs semaines, s'est étendu à toutes les universités du pays. Parti de la protestation des enseignants et des parents d'élèves des écoles primaires contre la réforme de la ministre de L'instruction publique, le mécontentement a gagné les universités, mais ce n'est pas seulement contre la réforme de la ministre. C'est aussi et surtout contre la suppression des crédits à l'Instruction Publique et à la recherche scientifique imaginée par l'ineffable et dangereux margoulin Tremonti pour "faire des économies" (et renflouer les banques) que la contestation gagne peu à peu du terrain, et des consensus en profondeur dans le pays. C'est aussi un peu l'équivalent des manifestations françaises contre le CPE d'il y a quelques années, mais avec des assises plus larges.

Le principal slogan des étudiants, enseignants précaires et lycéens du second cycle est: Non vogliamo fare le spese della crisi, Nous ne voulons pas faire les frais de la crise. Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit: cette classe politique, cette classe dirigeante, et celle qui est au pouvoir actuellement en particulier est en train de ruiner le futur de la jeunesse. Et ça, la jeunesse ne l'accepte pas, et elle a raison, la jeunesse de ce pays, de ne pas vouloir l'accepter. Elle a raison de revendiquer son droit à l'avenir, la jeunesse de ce pays gérontocratique peuplé de "barons", comme on dit ici, de mandarins universitaires indéboulonnables titulaires de chaires quand il ont passé soixante-dix ans, et de caciques politico-mafieux vissés sur leurs fauteuils parlementaires.

Et ils auraient bien tort, les barons et caciques, de croire que la contestation va prendre fin et que tout le monde va rentrer bien gentiment chez soi. Je ne le crois pas. Je ne le crois pas parce que cette jeunesse à encore moins d'avenir en Italie qu'elle ne peut en avoir dans les autres pays d'Europe. elle a donc encore moins à perdre. La situation des familles ici est bien plus difficile qu'elle ne peut l'être en France ou en Allemagne, par exemple. Et la pitoyable situation des université bien plus dramatiques qu'ailleurs en Europe.
Parce que les locaux sont incroyablement vétustes et exigus, les chercheurs des universités souvent relégués dans les sous-sols un tantinet délabrés, fautes de moyens. Ici, la fuite des cerveaux est bien plus importante que dans les autres pays d'Europe, et un pays que la jeunesse fuit est un pays qui meurt. Ils ne veulent pas mourir avant d'avoir vécu, les jeunes de cette nouvelle génération, celle de mes enfants, et ils ont raison de lutter pour leur avenir.

Jusqu'à présent, tout s'est déroulé dans le calme et c'est à un grand mouvement pacifique qu'on assiste. aujourd'hui, la grève générale de l'enseignement a été suivie à près de 80%, quoi qu'en dise les autorités. Et les manifestations de ces derniers jours dans toutes les grandes villes universitaires d'Italie, dont celle d'aujourd'hui à Rome, mobilisent énormément de monde, on assiste à quelque chose qu'on ne voyait plus depuis plus de vingt ans.

Le décret de la dite ministre est passé comme une lettre à la poste dans un parlement où l'opposition est devenue inexistante, et qui a donc demandé un référendum. Je doute qu'il soit accepté par Berlusconi... c'est donc un bras de fer qui s'engage entre le gouvernement et le mouvement étudiant, entre le gouvernement et la rue.

Parce que derrière un étudiant, il y a toute une famille. Les parents qui payent et qui n'en peuvent plus, des frères et sœurs plus jeunes qui, quand ils sont dans le secondaire, savent déjà que, si le décret est appliqué, ils ne pourront pas poursuivre d'études que leurs familles ne pourront pas payer (c'est mon cas). Ne pourront pas payer parce que le système universitaire ne sera pas réformé mais bradé aux "fondations privées". C'est la destruction de l'Instruction Publique à brève échéance, en tel cas. L'Italie est le seul pays d'Europe qui n'investit pas dans la Recherche, ni dans son système éducatif.

Les manifestations ont été pacifiques, jusqu'à présent disais-je, mais aujourd'hui à Rome ont eu lieux des provocations néo-fascistes dans le cortège qui se rendait au Sénat. Visiblement, un groupe d'extrème-droite muni de barres de fer en queue de cortège s'est frayé un chemin jusqu'à sa tête à coups de lattes. La police n'est pas intervenue pour les arrêter et les faire sortir d'un défilé où ils n'avaient rien à faire. Ils ne sont probablement pas même étudiants, ou alors se sont des étudiants d'un genre "atypique et très particulier". D'autant plus "atypique et particulier" que les "forces de l'ordre" en appelait certains par leur prénom pour leur dire de ne pas exagérer. La connivence était  tellement évidente qu'elle n'est pas passé inaperçue; les scènes ont été filmées par les journalistes et sont passées à la télé. Je ne vois pas ça d'un bon œil, personnellement, même si ça reste assez marginal. Il y a toujours eu à Rome des groupuscules fascistes. Mais tout de même. ça ne peut rien augurer de bon. C'est néfaste.

Je suis contente d'habiter dans ma région. Je ne voudrais pas en habiter une autre. A part le Piémont, à la limite. Et encore.
Ici, à part quelques cas atypiques, quelques poches territoriales berlusconiennes nauséabondondes, l'ensemble est assez homogène et majoritaire, stable. Les universités de Florence et de Pise ont été parmi les premières à se mettre en grève, à faire les cours sur les places publiques en signe de protestation.  Pise est à cet égard emblématique. C'est une des universités les plus anciennes d'Italie, la plus prestigieuse université scientifique Italienne, que celle ou enseigna Galilée. Physique, chimie, médecine sont parmi les facultés les plus importantes. L'université de Pise, en Italie, ne signifie cependant pas seulement ces facultés. Cela veut dire aussi ce qu'on appelle "la Normale", c'est à dire l'Ecole Normale Supérieure, et le CNR, c'est à dire le CNRS. C'est en somme la ville où réside nombre de chercheur-es. Parce qu'il y a beaucoup de femmes aussi, parmi les étudiants et les maîtres-assistants, enseignants de cette nouvelle génération, précaire. Or, pour la première fois depuis 40 ans, ces deux institutions que sont la Normale et le CNR sont en grève également depuis des semaines.

En fait, ils ont toute la ville avec eux, et le soutien tacite et bienveillant de la population, comme à peu près dans toute la région. Dans mon département la semaine dernière, pour donner un ordre d'idée, ils étaient 
22000 à manifester dans le chef-lieu, venus de tous les lycées.

C'est dire si l'on se trouve en face d'un mouvement d'une ampleur certaine; ce n'est décidément pas seulement contre un décret ministériel que s'est mobilisé, et se mobilise de plus en plus autant de monde.
 
Ecrit par Lory, le Jeudi 30 Octobre 2008, 02:13 dans la rubrique De l'Italie.