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L'idiot
Dans le roman du grand russe, Mychkine, prince paumé, a un tendre penchant pour Aglaé, et cette dernière en pince pour lui. On se demande bien ce qu'elle lui trouve, mais bon, c'est un amour platonique. D'ailleurs, on voit mal ce que cet amour pourrait donner s'il n'était pas contrarié. Primo, il n'y aurait pas de roman; deuxio ça serait des regards langoureux de merlans frits yeux dans les yeux, des effleurements délicats sans conclusion à n'en plus finir, parce que pour la virilité, le prince Mychkine, c'est pas vraiment ça. Bref, ça donnerait quelque chose d'aussi chiant que Le petit prince de Saint-Exupéry, qui veut absolument qu'on lui dessine un mouton, et pour lequel j'éprouve à peu près les memes sentiments que Renaud dans une chanson de jadis.

Non, il finit par épouser Nastassia Philippovna pour la soustraire à l'emprise de l'affreux Rogojine, qui lui ne s'y trompe pas parce qu'il est affreux, certes, mais pas idiot; il a bien compris que la Nastassia, c'est pas du diaphane évaporé comme l'Aglaé, mais une femme en chair et en os.

On pourrait épiloguer en parlant d'Anna Karénine, en se disant que dans ce temps là pour les femmes c'était dur dur, et que ça a tout de meme bien changé depuis mais pas trop, mais on m'accuserait immédiatement d'écrire un blog féministe.

J'épiloguerai donc en parlant d'une histoire beaucoup plus récente mais qui remonte tout de meme a bientot trente ans, du temps où la pillule était en vente libre mais l'avortement encore interdit, mais où il était néanmoins possible de trouver un charter pour l'Angleterre pour un prix abordable en passant par une association.

Une de mes connaissances d'alors était, comme c'était fréquent, tombée enceinte durant une brève liaison. Un mois après leur séparation, l'impétrant qui n'y pensait plus et qui avait entre temps trouvé une charmante Aglaé qu'il aurait du se garder, reçut un coup de fil de la Nastassia furibonde lui annonçant la nouvelle.

C'était un jeune homme timide de bonne famille catholique et pratiquante qui ne badinait pas avec les préceptes moraux. A vrai dire, ce que voulait la Nastassia n'était pas tant le mariage que la participation aux frais de voyage pour l'Angleterre ou la Hollande, parce qu'étant de famille prolétaire (mais pas plus ouverte que les cathos sur la question), elle n'avait pas un rond.

La Nastassia ne voulait pas entendre parler de mariage. Ce fut dans la famille du jeune homme un tolley discordant, mais les temps ayant changé et l'histoire se passant dans une région où la démocratie-chrétienne n'était pas en odeur de sainteté, il y avait plus de probabilités pour que la dite famille soit plus mal vue que la Nastassia le cas échéant; elle cotisa donc pour les frais de transport.

Et bien me croiriez-vous? De retour, Anastassia et le jeune homme se revirent, et se dernier, sans doute écrasé par les anathèmes de sa famille, laissa tomber Aglaé à laquelle ne resta que ses yeux pour pleurer, et un autre pour se consoler. Et le prince Mychkine de la fable finit par se marier après la naissance d'un autre enfant, après quoi Nastassia demanda le divorce quelques années plus tard, la famille étant suffisemment aisée pour payer une bonne pension alimentaire. Je dis la famille parce que le prince Mychkine comme chacun sait n'a pas un rond, à charge de sa famille sa vie durant, l'autonomie et l'indépendance ne faisant pas partie des valeurs culturelles catholiques.

Je me demande encore, sans avoir jamais résolu l'énigme: mais le prince Mychkine, il est idiot ou il est con? Ne me dites pas qu'il est bon...

 
Ecrit par Lory, le Samedi 31 Mars 2007, 19:00 dans la rubrique Au jour le jour.