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La manifestation féministe à Rome
--> le24 novembre dernier: Séparatisme et féminisme

Le 24 novembre dernier a eu lieu une manifestation féministe à Rome à l’appel de tous les collectifs féministes italiens, et avec le soutien des sections syndicales, d’autres associations féministes, contre les violences masculines. La grande majorité des collectifs avait opté pour le séparatisme, ce qui a soulevé un tollé dans la presse et les médias ainsi que dans les partis politiques au pouvoir ou non. Le mot d’ordre séparatiste est pourtant selon moi la clé du succès indéniable de cette manifestation à laquelle ont participé plus de 100 000 femmes venues de toute l’Italie, 150 000 personnes dit-on, chose qu’on ne voyait plus depuis les années 70.

 

La remarquable organisation dont elles ont fait preuve mérite vraiment qu’on en parle, parce que jamais, à aucun moment, les médias n’ont relayé l’information, et quand leurs journalistes serviles et asservis à la botte du pouvoir en ont parlé (parce qu’ils ont bien du finir par en parler ; 150 000 femmes en cortège dans la rue, ce n’est pas tous les jours et ça ne passe pas inaperçu) ce fut pour dénigrer.

 

Elles ont tout fait en sourdine depuis le début, sur le terrain dans les grandes villes au sein des associations et des collectifs, et surtout via web. Internet s’est de ce point de vue révélé un outil extraordinaire, parce que par ce moyen, elles ont réussi à mobiliser 150 000 femmes venues, à leurs frais, du nord au sud du pays, or l’Italie est longue (2000 km), sans compter les îles et les ferries outre aux trains à prendre (à ce que j’ai cru comprendre, certains machos de Trenitaliala SNCF italienne dénationalisée, anciennement FS, Ferrovie dello Stato- ont perturbé les départs à Gênes), qui ne marchent pas tellement bien, pour confluer à Rome.

 

Seule, à ce que j’ai pu comprendre, une minorité de collectifs avait contesté ce choix; les romaines par exemple n’ont pas respecté le mot d’ordre séparatiste et ont amené leur compagnons avec elles, mais dans l’ensemble toutes ont accepté. Je pense pour ma part que la place des hommes en tel cas, c’est de rester à la maison et de s’occuper des mômes s’il y en a, et de préparer la bouffe quand leurs compagnes ont à lutter.

 

Une délégation de femmes rom avait été invitée à participer à la manifestation par les collectifs, et ce sont elles qui ont eu l’honneur d’ouvrir le cortège (à la question : « subissez-vous des violences machistes dans vos campements ? », elles répondent : « pas plus que dehors et comme partout ». Il me paraît important de faire remarquer que, après la mort de la femme d’un commandant de vaisseau agressée et violée par un rom saoul, ce qui souleva une vague de xénophobie en Italie et la demande de ripostes d’ordre sécuritaire de la part des plus réactionnaires, c’est une vieille femme rom qui avait tenté de s’interposer et qui avait arrêté un autobus sur la route pour donner l’alarme et demander des secours pour la femme agressée. Certains morceaux du cortège étaient donc mixtes, notamment celui des romaines, mais dans l’ensemble, les hommes étaient relégués en queue de cortège s’ils voulaient manifester leur soutien. Le service d’ordre a veillé à ce que les journalistes et des trolls poilus en chair et en os ne s’infiltrent pas, et renvoyé systématiquement les hommes en queue. Il s’en est suivi quelques frictions avec certains récalcitrants, mais dans l’ensemble ils n’ont pas insisté. Même un groupe d’immigrés africains munis de tambours et autres percussions, se sont vu renvoyés à la queue. « Mais nous sommes pour la non-violence ! », ont-ils objecté interloqués, mais rien à faire. Ils en ont été quittes pour aller au fond du cortège sans tambours ni trompette.

 

Je pense qu’elles ont bien fait d’opter pour le séparatisme. La mixité aurait rendue la manifestation moins crédible et aurait trop complu aux autorités, gouvernementales en premiers lieux. En outre, la manif aurait été perçue comme une quelconque manif ordinaire orchestrée comme à l’habitude alors qu’elle ne l’était pas, et la simple présence masculine à égalité numérique aurait implicitement autorisé les hommes à parler au nom des femmes comme ils se sentent ordinairement autorisés à le faire. Le séparatisme fut à cet égard salutaire et gage de réussite dans le signalement d’un mécontentement profond et sans ambiguïté au sein de la population féminine italienne.

 

Il faut souligner le fait que la condition féminine en Italie est la pire dans toute l’Union européenne. L’Italie arrive effectivement dernière quant au taux de chômage féminin (le double de la moyenne européenne), en matière d’écart des salaires à travail égal, mais surtout en terme de poids du travail domestique gratuit qui repose quasi intégralement sur les femmes (le double statistiquement de la moyenne européenne en heures hebdomadaires). Les italiennes font les frais de tous les maux d’une société bloquée et incapable de se rénover à cause de la chape de plomb que fait peser le Vatican et son influence autant que son intrusion dans les affaires publiques. Le Vatican est indiscutablement en Italie une nuisance lourde qui soutient systématiquement tout ce qu’il y a de plus antisocial, réactionnaire et machiste dans le pays. De ce point de vue, une manifestation féministe à Rome en double la valeur symbolique, pas seulement parce qu’y siège le gouvernement, après tout, l’Italie étant fortement régionalisée depuis longtemps, Turin ou Bologne auraient été autant sinon plus symboliques du point de vue des luttes populaires. Rome, c’est indéniablement un signal fort.

 

Les organisatrices avaient décidé qu’à la fin de la manifestation il n’y aurait pas de prise de parole ni de discours de leur part, mais que des podiums auraient été installés pour que celles qui le voulaient s’expriment, un peu comme dans Hyde Park. Ce fut à mon avis le seul point faible de la manif et la seule erreur de leur part. Mouvements spontanés, les collectifs féministes n’ont pas fait les écoles de partis pour apprendre la langue de bois ni la manipulation des foules comme les centrales syndicales. Elles auraient du prévoir une prise de parole de la part des organisatrices pour éviter toute récupération externe, comme cela s’est produit.

 

Seule une chaîne de télé néocons (Tele7) avait jugé opportun de dresser un podium pour inviter… aucune organisatrice mais les femmes ministres dont deux étaient venues en manteau de fourrure, pensant peut-être de participer à un défilé de mode comme il s’en fait à piazza di Spagna. Elles se sont fait huer de la belle manière par les femmes qui n’en voulaient pas, les collectifs n’ayant invité aucune personnalité et encore moins pour parler en leur nom, ce qu’elles s’étaient crûes autorisées à faire de par leur statut ministériel, et mal leur en prit. Elles y ont été ouvertement et pleinement déligitimées.

 

La télé néocons n’a pas manqué de dénoncer la « violence », tu parles ! Bein oui, elle se sont fait chahuter, se qui me fait doucement rire parce qu’elles n’ont pas dû recevoir plus de coups de coudes qu’elles n’en donnent aux autres dans les partis politiques pour arriver ministres (on a une petite pensée pour Rachida et les autres, là, même si elles ne font pas partie d’un gouv « de gauche », mais enfin c’est comme en Italie, entre la gauche et la droite, on ne perçoit pas toujours aisément la différence).

 

Mais à part cette échauffourée cocasse, la manifestation fut d’une tranquillité paisible et pleine d’humour (les slogans étaient supers), et je n’ai qu’un regret, avoir été en France où je ne connais personne et où j’avais d’autres occupations, à ce moment là.

 

Mais qu’à cela ne tienne, je ne vais certainement pas jurer mes grands dieux, mais par la Grande Déesse (c’est de l’humour, hein, la religiosité newage me laisse sceptique comme toute autre), si elles refont une manif le 8 mars, j’irai à Rome !

 
Ecrit par Lory, le Lundi 10 Décembre 2007, 00:27 dans la rubrique Femmes & Féminisme.

Commentaires :

dandi
13-12-07 à 22:52

"Le mot d’ordre séparatiste est pourtant selon moi la clé du succès indéniable de cette manifestation "
J'adhère sans aucune réserve à ce choix, et vous en expliquez fort bien l'intérêt particulier.

Ce texte aussi... si vous me permettez de le poser sur mauvaise herbe ?