La remarquable
organisation dont elles ont fait preuve mérite vraiment qu’on en parle, parce
que jamais, à aucun moment, les médias n’ont relayé l’information, et quand
leurs journalistes serviles et asservis à la botte du pouvoir en ont parlé
(parce qu’ils ont bien du finir par en parler ; 150 000 femmes en cortège
dans la rue, ce n’est pas tous les jours et ça ne passe pas inaperçu) ce fut
pour dénigrer.
Elles ont tout
fait en sourdine depuis le début, sur le terrain dans les grandes villes au
sein des associations et des collectifs, et surtout via web. Internet s’est de ce
point de vue révélé un outil extraordinaire, parce que par ce moyen, elles ont
réussi à mobiliser 150 000 femmes venues, à leurs frais, du nord au sud du
pays, or l’Italie est longue (
Seule, à ce que
j’ai pu comprendre, une minorité de collectifs avait contesté ce choix; les romaines par exemple n’ont pas respecté le mot d’ordre séparatiste
et ont amené leur compagnons avec elles, mais dans l’ensemble
toutes ont accepté. Je pense pour ma part que la place des hommes en tel cas,
c’est de rester à la maison et de s’occuper des mômes s’il y en a, et de
préparer la bouffe quand leurs compagnes ont à lutter.
Une délégation de
femmes rom avait été invitée à participer à la manifestation par les
collectifs, et ce sont elles qui ont eu l’honneur d’ouvrir le cortège (à la
question : « subissez-vous des violences machistes dans vos
campements ? », elles répondent : « pas plus que dehors et
comme partout ». Il me paraît important de faire remarquer que, après la
mort de la femme d’un commandant de vaisseau agressée et violée par un rom
saoul, ce qui souleva une vague de xénophobie en Italie et la demande de
ripostes d’ordre sécuritaire de la part des plus réactionnaires, c’est une
vieille femme rom qui avait tenté de s’interposer et qui avait arrêté un
autobus sur la route pour donner l’alarme et demander des secours pour la femme
agressée. Certains morceaux du cortège étaient donc mixtes, notamment celui
des romaines, mais dans l’ensemble, les hommes étaient relégués en queue de
cortège s’ils voulaient manifester leur soutien. Le service d’ordre a veillé à
ce que les journalistes et des trolls poilus en chair et en os ne s’infiltrent pas, et renvoyé
systématiquement les hommes en queue. Il s’en est suivi quelques frictions avec
certains récalcitrants, mais dans l’ensemble ils n’ont pas insisté. Même un
groupe d’immigrés africains munis de tambours et autres percussions, se sont vu
renvoyés à la queue. « Mais nous sommes pour la
non-violence ! », ont-ils objecté interloqués, mais rien à faire. Ils
en ont été quittes pour aller au fond du cortège sans tambours ni trompette.
Je pense qu’elles
ont bien fait d’opter pour le séparatisme. La mixité aurait rendue la
manifestation moins crédible et aurait trop complu aux autorités, gouvernementales
en premiers lieux. En outre, la manif aurait été perçue comme une quelconque
manif ordinaire orchestrée comme à l’habitude alors qu’elle ne l’était pas, et
la simple présence masculine à égalité numérique aurait implicitement autorisé
les hommes à parler au nom des femmes comme ils se sentent ordinairement
autorisés à le faire. Le séparatisme fut à cet égard salutaire et gage de
réussite dans le signalement d’un mécontentement profond et sans ambiguïté au
sein de la population féminine italienne.
Il faut souligner
le fait que la condition féminine en Italie est la pire dans toute l’Union
européenne. L’Italie arrive effectivement dernière quant au taux de chômage
féminin (le double de la moyenne européenne), en matière d’écart des salaires à
travail égal, mais surtout en terme de poids du travail domestique gratuit qui
repose quasi intégralement sur les femmes (le double statistiquement de la moyenne
européenne en heures hebdomadaires). Les italiennes font les frais de tous les
maux d’une société bloquée et incapable de se rénover à cause de la chape de
plomb que fait peser le Vatican et son influence autant que son intrusion dans
les affaires publiques. Le Vatican est indiscutablement en Italie une nuisance
lourde qui soutient systématiquement tout ce qu’il y a de plus antisocial, réactionnaire et
machiste dans le pays. De ce point de vue, une manifestation féministe à Rome
en double la valeur symbolique, pas seulement parce qu’y siège le gouvernement,
après tout, l’Italie étant fortement régionalisée depuis longtemps, Turin ou
Bologne auraient été autant sinon plus symboliques du point de vue des luttes
populaires. Rome, c’est indéniablement un signal fort.
Les
organisatrices avaient décidé qu’à la fin de la manifestation il n’y aurait pas
de prise de parole ni de discours de leur part, mais que des podiums auraient
été installés pour que celles qui le voulaient s’expriment, un peu comme dans
Hyde Park. Ce fut à mon avis le seul point faible de la manif et la seule erreur de leur part.
Mouvements spontanés, les collectifs féministes n’ont pas fait les écoles de
partis pour apprendre la langue de bois ni la manipulation des foules comme les
centrales syndicales. Elles auraient du prévoir une prise de parole de la part
des organisatrices pour éviter toute récupération externe, comme cela s’est produit.
Seule une chaîne
de télé néocons (Tele7) avait jugé opportun de dresser un podium pour inviter…
aucune organisatrice mais les femmes ministres dont deux étaient venues en
manteau de fourrure, pensant peut-être de participer à un défilé de mode comme
il s’en fait à piazza di Spagna. Elles se sont fait huer de la belle manière
par les femmes qui n’en voulaient pas, les collectifs n’ayant invité aucune
personnalité et encore moins pour parler en leur nom, ce qu’elles s’étaient
crûes autorisées à faire de par leur statut ministériel, et mal leur en prit. Elles y ont été ouvertement et pleinement déligitimées.
La télé néocons
n’a pas manqué de dénoncer la « violence », tu parles ! Bein
oui, elle se sont fait chahuter, se qui me fait doucement rire parce qu’elles n’ont
pas dû recevoir plus de coups de coudes qu’elles n’en donnent aux autres dans
les partis politiques pour arriver ministres (on a une petite pensée pour
Rachida et les autres, là, même si elles ne font pas partie d’un gouv « de
gauche », mais enfin c’est comme en Italie, entre la gauche et la droite,
on ne perçoit pas toujours aisément la différence).
Mais à part cette
échauffourée cocasse, la manifestation fut d’une tranquillité paisible et
pleine d’humour (les slogans étaient supers), et je n’ai qu’un regret, avoir
été en France où je ne connais personne et où j’avais d’autres occupations, à
ce moment là.
Mais qu’à cela ne
tienne, je ne vais certainement pas jurer mes grands dieux, mais par
Commentaires :
J'adhère sans aucune réserve à ce choix, et vous en expliquez fort bien l'intérêt particulier.
Ce texte aussi... si vous me permettez de le poser sur mauvaise herbe ?