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Souvenir des Centres Aérés de banlieue

J'y ai travaillé dans ma commune d'alors, un jour et demi par semaine, étant étudiante, ce qui me faisait un peu d'argent. Les petits beurs, et les beurettes, je les ai eus, c'était la moitié des effectifs. Ceux-là n'étaient ni les pires ni les plus mal élevés puisqu'ils passaient les mercredis et les samedis après-midi dans les Centres Aérés, et que donc pendant qu'ils étaient là ils n'étaient pas ailleurs, encadrés et surveillés.

A l'époque, c'était une banlieue communiste et donc pas riche; comme avait dit De Gaulle, en créant les départements de la Région Parisienne, aux godillots qui lui objectaient que ç'allait être la chienlit: "et bien il y aura des départements communistes et ils sauront très bien s'arranger tous seuls". Ces départements-là ce sont arrangés tous seuls et sans aide, c'est le moins qu'on puisse dire. Avec les moyens du bords.

J'avais organisé un atelier de travaux manuels, j'avais des 12-14 ans, pas vraiment la crème, pas des délinquants non plus; seuls quelques uns étaient à risque. Dans la fin des années 70, c'étant encore la mode un peu hippie; je faisais donc faire tant aux filles qu'aux garçons des pochettes de cuir, avec des franges, qu'on portait avec un lacet autour du cou. J'avais obtenu des chutes de peaux en tous genres, j'avais un pyrograveur déglingué, et des grosses aiguilles à canevas.

ça avait tout de suite plut aux filles, qui s'étaient installées et se confectionnaient très artistiquement ce qu'elles n'auraient pas eu les moyens de s'acheter aux éventaires du boulevard saint-Michel où ce n'était pourtant pas cher à l'époque, et où de toutes façons la plupart des beurettes n'auraient pas eu l'autorisation de se rendre.

Dans les premiers temps, les garçons n'avaient naturellement pas daigné participer à l'atelier; ils préféraient jouer au foot, mais quand il pleuvait ils s'emmerdaient (et il pleut souvent en région parisienne l'hiver), de sorte qu'à l'intérieur ils avaient plutôt tendance à foutre le bordel. Ils tournaient autour de l'atelier, passaient autoritairement commande aux filles (souvent leurs soeurs): "il est chouette celui-là, tu m'en feras un pareil".

J'avais remarqué en la circonstance que les Nathalies, les Véroniques, les Carmens, ne se gênaient pas pour les envoyer paître: "t'as qu'à t' le faire toi-même, j'suis pas ta bonne". Celles-là, ça leur arrivait de jouer au volley ou même au foot avec eux s'il faisait beau, et, sur les activités manuelles, si les garçons les enquiquinaient en leur chouravant leur matériel, elles n'hésitaient pas à sortir les griffes, il pouvait s'ensuivre quelques bousculades qu'il fallait faire rentrer dans l'ordre en haussant le ton. Par contre, les Malikas et autres Djamilhas ne jouaient jamais au ballon. Elles étaient sages, ne répondaient jamais aux agressions verbales, ou changeaient de place si les garçons leur prenaient leur matériel. Elles avaient pour eux en échange, dans leur silence désapprobateur, un mépris profond que les autres n'avaient pas. J'en avais été surprise, et en moi-même je trouvais curieux que leurs frères ne s'en aperçoivent pas. C'étaient comme s'ils n'existaient pas, comme s'ils étaient tansparents, et je me disais que, si j'avais été à leur place, ça m'aurait gêné de me sentir méprisé à ce point là. Ils tendaient à traiter en égales les filles de souche française ou tout au moins européenne. Mais ce n'étaient pas le cas avec les maghrebines des mêmes HLM, qu'elles soient ou non leur soeurs. A leur manière, elles le leur rendaient bien. A l'époque, le voile musulman n'existait pas pour les jeunes. Elles étaient en jeans et T. shirts comme les autres; d'ailleurs, elles n'avaient autre chose en tête que de leur ressembler en tout et pour tout.

J'avais formellement interdit aux filles de faire quoi que ce soit pour les garçons: "s'ils veulent quelque chose, ils n'ont qu'à se le faire". Je n'avais pas eu besoin de le leur dire deux fois; pour elles, l'atelier était un havre de paix. Quant aux garçons, je les avais rembarrés sèchement, même durement, sans élever tellement la voix. ça les avait refroidi. Ils avaient bougonné un peu, protesté, les plus durs s'étaient montrés assez grossiers, je les avais fulminés, sifflant comme une vipère que, quand on est à moitié analphabète, incapable de tenir un instrument en main parce qu'on ne sait rien faire de ses dix doigts, qu'on se croit beau comme un dieu alors qu'on est moche comme un poux et autres gracieusetés (comme pas "même bons à taper efficacement dans un ballon"), on la ferme et on disparaît. Devant les filles. Personne n'avait bronché. Quelques uns avaient rougi jusqu'aux oreilles, soudain muets, d'autres étaient sortis écumant de rage en claquant la porte. Mon collègue et directeur de Centre s'en était chargé.

Les choses suivirent leur cours assez paisiblement. Au bout de quelques semaines, un bon nombre d'entre eux s'étaient assis avec les filles, attendant leur tour pour disposer du matériel, et s'étaient fabriqué leur pochette.



Ecrit par Lory Calque, le Jeudi 1 Juin 2006, 19:41 dans la rubrique Florycalque.