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La récitation
--> Quartier libre

Dans les années soixante à l’école primaire, qui n’était pas encore mixte, il était d’usage d’apprendre des récitations, c'est-à-dire un poème par cœur. On pouvait avoir droit, selon les années et les institutrices, à des machins d’Albert Samain, Emile Verhaeren, Charles Péguy, Francis James, dont je serais bien incapable de me rappeler un traître mot, des poèmes de Victor Hugo évidemment, ou des Alfred, de Vigny, ou de Musset, de Verlaine, dont je me souviens davantage et, vers 1965, les choses commençant à changer et les méthodes à se moderniser, nous avions le choix une fois l’an, de la récitation libre. La plupart récitaient un poème de l’année précédente, d’autres faisaient preuve d’originalité, conseillées par la famille, en récitant un machin bien dégoulinant de bonté et de bons sentiments, bien long pour faire voir qu’elles n’en avaient pas profité pour bâcler la chose et obtenir ainsi le prix de leur effort.

 

Je demandai donc à ma mère ce que j’allais bien pouvoir réciter. « Un poème de Jacques Prévert, dit-elle après réflexion ; c’est bien pour les enfants ». Je les connaissais déjà, parce qu’elle m'en avait lus, ou récités plusieurs. Elle connaîssait (et connaît encore en dépit de son âge) par cœur, des tirades entières des classiques. Elle adorait le théâtre et aurait sans doutes fait une excellente actrice, elle avait d’ailleurs dans sa jeunesse commencé à en faire, ce qui avait médusé sa famille qui était allée la voir jouer dans je ne sais quelles circonstances mais, n’étant déjà pas encline à lui laisser faire l’Ecole Normale, il était encore moins question de la laisser devenir actrice, et l’expérience se limita au théâtre amateur.

 

Sans doute n’avait-elle pas envie de se farcir une récitation traînant en longueur durant la corvée de repassage (le moment du repassage était par la même occasion dévolu aux récitations). Aussi me conseilla-t-elle Quartier libre. C’était celle qui m’amusait le plus, mais je craignais que ce soit bien court et que cela déplaise à la maîtresse ; je ne voulais pas avoir l’air d’avoir profité de la récitation libre pour ne rien foutre. « Mais non, dit-elle. La maîtresse appréciera certainement que ça ne soit pas trop long, elle doit en entendre 35 ». Dans ce temps là, les classes étaient nombreuses et oscillaient entre 30 et 40 élèves, du moins là où j’étais. « Et puis il suffit de mettre le ton, ça ira très bien, tu verras.»

 

Quand ce fut mon tour, je récitais donc « Quartier libre», en mettant le ton. Je m’en souviens encore des décennies plus tard (comme de tant d’autres d’ailleurs) tant c’est resté gravé dans ma mémoire, et je ne résiste pas au plaisir de la réciter encore :

 

J’ai mis mon képi dans la cage

et j’ai mis l’oiseau sur ma tête

Alors

on ne salue plus

a demandé le commandant

Non

on ne salue plus

a répondu l’oiseau.

Ah bon

excusez-moi je croyais qu’on saluait

a dit le commandant

Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper

A dit l’oiseau.

 

Je retournai à ma place dans un silence où on aurait entendu les mouches voler, ce qui est tout de même assez rare dans une classe de 35 élèves. J’étais un peu gênée, me disant que je n’aurais pas dû écouter ma mère qui avait toujours de ces idées bizarres qui vous laissaient pantois, et que j’aurai dû réciter un truc banal et ordinaire comme tout le monde.

 

Sans doutes ai-je hérité de certains dons de ma mère, du moins de celui de la récitation. La maîtresse avait un petit sourire en coin les yeux rivés sur son registre pour appeler la suivante quand on commença à entendre ça et là des rires étouffés, quelques unes commencèrent à pouffer, puis un éclat de rire général salua Jacques Prévert et son Quartier libre, la maîtresse aussi.

 
Ecrit par Lory, le Dimanche 7 Octobre 2007, 17:13 dans la rubrique Florycalque.