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Truchement

Il y a quelques temps, j’avais à faire à la poste. Il manquait une demi-heure à la fermeture, et c’est généralement le moment que je choisis parce qu’il y a moins de monde. C’était une de ces matinées où les petits vieux vont retirer leur retraite, et il y avait devant moi deux petites vieilles venues retirer la leur (488 € est le minimum de la « pension sociale », qui est souvent celle des femmes qui n’ont pas suffisamment d’annuités de cotisation pour toucher davantage, soit moins de la moitié de ce que peut gagner un immigré saisonnier ouvrier agricole), et un jeune, sub-saharien (probablement ouvrier agricole saisonnier), au guichet.

 

Visiblement, lui et la guichetière avaient du mal à se comprendre. La plupart du temps, les « extra-communautaires », comme on dit ici, ont toujours des choses compliquées à faire et qui prennent énormément de temps. Ils ne savent pas, n’ont pas les papiers qu’il faut, parlent mal la langue ou ne la comprennent pas. Ça promettait d’être longuet. L’une des petites vieilles se dandinait sur ses mauvaises jambes, l’autre était appuyée à une canne, fatiguées d’attendre.

 

En désespoir de cause, la guichetière (les postes les plus bas sont tenus par des femmes dans les administrations comme ailleurs et même davantage, surtout en Italie, et de toutes façons pour les « immigrés » généralement « musulmans » indépendamment de la couleur de la peau – ici, il y a pléthore de bosniaques et albanais bien blancs- une femme est moins qu’un homme et donc, pour l’immigré, il apparaît que celle-ci doit être à sa disposition, et comme en Italie les femmes ont intégré l'infériorité qui leur est imposée par le catholicisme plus qu’ailleurs, elles se dévouent comme des idiotes) entreprit de parler en français avec son usager, elle avec son accent, et lui dans son jargon, sans davantage de succès apparemment. Elle parcouru le hall avec un regard désespéré qui s’arrêta sur moi, et me demanda de servir de truchement.

 

Cela m’est arrivé très très souvent qu’on me demande de servir d’intermédiaire dans des endroits et circonstances des plus variées. Boutiques, banques, enfants de touristes en larmes ayant perdu leurs parents dans les supermarchés, et je me suis toujours prêtée volontiers, y compris pour les immigrés (c’est la raison pour laquelle je dis qu’ils ont toujours des pratiques compliquées à résoudre).

 

Pour la première fois de ma vie, j’ai refusé. D’abord, il était tard et, ayant ouï le jargon du jeune type, je présageais qu’il y en aurait pour un moment. Ensuite, je ne voyais pas pourquoi les deux grands-mères auraient dû poireauter à cause d’un jeune type visiblement en pleine forme qui ne comprenait rien, n’avait pas ce qu’on lui demandait d’avoir mais prétendait qu’on lui fasse quand même ce qu’il voulait. Autrefois, je n'étais pas mal disposée à l'égard des "immigrés", mais les temps ont changé.

 

J’ai donc répondu, avec mon air le plus glacial possible, ce qui laisse sans équivoque et que je réussis très bien à prendre, bien que je puisse être fort avenante, si je suis payée, (ou si un projet m’intéresse vraiment) à la guichetière que je n’étais pas payée par les postes pour servir d’interprète, et lui ai suggéré de faire comprendre au type qu’il n’avait qu’à revenir avec quelqu’un parlant à la fois sa langue et l’italien. Ce qu’elle fit, avec un soulagement visible, et pour celui des deux grands-mères devant moi, ce qui m’a permis par ailleurs de ne pas avoir à revenir le lendemain.

 
Ecrit par Lory, le Mercredi 2 Avril 2008, 14:54 dans la rubrique Grand tourisme.