Visiblement, lui
et la guichetière avaient du mal à se comprendre. La plupart du temps, les « extra-communautaires »,
comme on dit ici, ont toujours des choses compliquées à faire et qui prennent
énormément de temps. Ils ne savent pas, n’ont pas les papiers qu’il faut,
parlent mal la langue ou ne la comprennent pas. Ça promettait d’être longuet.
L’une des petites vieilles se dandinait sur ses mauvaises jambes, l’autre était appuyée à une canne, fatiguées d’attendre.
En désespoir de
cause, la guichetière (les postes les plus bas sont tenus par des femmes dans
les administrations comme ailleurs et même davantage, surtout en Italie, et de
toutes façons pour les « immigrés » généralement « musulmans »
indépendamment de la couleur de la peau – ici, il y a pléthore de bosniaques et
albanais bien blancs- une femme est
moins qu’un homme et donc, pour l’immigré, il apparaît que celle-ci doit être à
sa disposition, et comme en Italie les femmes ont
intégré l'infériorité qui leur est imposée par le catholicisme plus qu’ailleurs, elles se dévouent comme des idiotes)
entreprit de parler en français avec son usager, elle avec son accent, et lui
dans son jargon, sans davantage de succès apparemment. Elle parcouru le hall
avec un regard désespéré qui s’arrêta sur moi, et me demanda de servir de truchement.
Cela m’est arrivé
très très souvent qu’on me demande de servir d’intermédiaire dans des endroits
et circonstances des plus variées. Boutiques, banques, enfants de touristes en
larmes ayant perdu leurs parents dans les supermarchés, et je me suis toujours
prêtée volontiers, y compris pour les immigrés (c’est la raison pour laquelle
je dis qu’ils ont toujours des pratiques compliquées à résoudre).
Pour la première
fois de ma vie, j’ai refusé. D’abord, il était tard et, ayant ouï le jargon du
jeune type, je présageais qu’il y en aurait pour un moment. Ensuite, je ne
voyais pas pourquoi les deux grands-mères auraient dû poireauter à cause d’un
jeune type visiblement en pleine forme qui ne comprenait rien, n’avait pas ce
qu’on lui demandait d’avoir mais prétendait qu’on lui fasse quand même ce qu’il
voulait. Autrefois, je n'étais pas mal disposée à l'égard des "immigrés", mais les temps
ont changé.
J’ai donc répondu,
avec mon air le plus glacial possible, ce qui laisse sans équivoque et que je
réussis très bien à prendre, bien que je puisse être fort avenante, si je suis
payée, (ou si un projet m’intéresse vraiment) à la guichetière que je n’étais
pas payée par les postes pour servir d’interprète, et lui ai suggéré de faire
comprendre au type qu’il n’avait qu’à revenir avec quelqu’un parlant à la fois
sa langue et l’italien. Ce qu’elle fit, avec un soulagement visible, et pour
celui des deux grands-mères devant moi, ce qui m’a permis par ailleurs de
ne pas avoir à revenir le lendemain.