Mon propos n’est
pas d’épiloguer sur la personnalité de ces deux artistes, que je connaissais
d’ailleurs assez peu, ceux-ci n’étant pas à proprement parler des symboles de
ma génération, et pas vraiment non plus de celle de mes enfants. J’ai donc sur
leur histoire tragique un certain recul, et ce qui m’a davantage émue fut surtout la mort non pas
tant d’une actrice connue, mais celle d’une femme, dans les mêmes conditions
que tant d’autres dont on ne parle pas ou peu parce qu’elles ne sont pas
célèbres, simples faits divers passant quasiment inaperçus, comme si c’était
normal qu’une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son
« compagnon ».
Cantat a donc été
libéré avec la conditionnelle, et ce n’est pas non plus sur cette libération
anticipée qui apparaîssait probable que j’ai l’intention de m’étendre. Il a été
jugé et la loi en vigueur a été appliquée, il ne semble pas qu’on puisse dire
qu’il ait bénéficié de traitement de faveur, tout au plus peut-on objecter que qu’il
a eu plus de chance que d’autres, si je puis dire, dans le sens que tous les
détenus pour les mêmes crimes ne bénéficient pas de l’aide extérieure dont il a
pu disposer pour pouvoir justifier par exemple d’une proposition d’emploi à sa
sortie; d’autre part, tout les meurtriers libérés dans les mêmes circonstances
que lui ne reçoivent sans doutes pas de menaces de mort, sinistre rançon de la
gloire, comme il semble en avoir reçu,
venant perturber la reconstruction de leur vie, si tant est que cela soit
possible…
Non, ce qui me choque
profondément, c’est que 4 ans de prison soit le prix ordinaire pour la vie
d’une femme.
Quand on pense
qu’un SDF peut se prendre 2 ans pour récidive après le vol d’un parapluie, ou
que la maltraitance sur les animaux prévoit 2 ans de détention, on reste
quelque peu ébahie, incrédule. On se dit qu’on achève bien les chevaux, donc
pour abattre une femme 4 ans n’est jamais que le double que pour un cheval. On
ne peut pas ne pas en ressentir un profond malaise (si tant est qu’on soit
humain). Les juristes nous dirons qu’on ne peut pas confondre les choses, et
feront force discours très doctes pour vous expliquer et vous convaincre que
si, que la loi est fort judicieuse, et que les peines sont parfaitement
équilibrées, que ça coule de source en vertu de la limpidité du code pénal,
bref, on peut bien me dire tout ce qu’on veut, j’ai tout de même du mal à
admettre que la vie d’une femme ne vaille que le double d’un cheval ou d’un
parapluie. A la vérité ça me reste en travers de la gorge, et je ne parviens décidément
pas à digérer une pareille incongruité.
Je ne crierai pas
haro sur Cantat, et je condamne pour ma part cette sorte de lynchage dont il
fait l’objet de la part de certains. La seule chose que j’ai à dire à son
sujet, c’est que je n’ai pas envie de l’entendre, ni plus jamais d’ailleurs, je
souhaite qu’il se fasse oublier et qu’on n’entende plus parler de lui. Ce qui,
pour moi, est impardonnable, c’est qu’il n’ait pas appelé de secours tout de
suite et qu’il ait tergiversé. Alcool, drogue ou pas, je ne croirai jamais
qu’il ne se soit pas rendu compte qu’elle était dans un état grave si elle ne
se relevait pas. Je n’accepterai jamais qu’un homme, même dans le cas où ce
soit la femme qui la première lève la main, la roue de coups et la laisse sur
le carreau, parce que le rapport de force la plupart du temps est tel que pour la
femme il n’y a pas d’échappatoire. En tel cas, la meilleure chose qu’un homme
ait à faire est de sortir furieux autant qu’il veut et d’aller donner des coups
de pieds dans les poubelles pour se défouler. Ça n’engage à rien ; tout au
plus se prendra-t-il une amende pour tapage nocturne ou trouble sur la voie
publique.
Ce que je veux
dire, par contre, c’est qu’il m’apparaît pour tout dire ignoble qu’on soit à
débattre sur le cas de ces meurtriers, qui les pauvres, connaîssent les affres
des remords et souffrent tant dans leur repentir qu’ils méritent bien une
libération conditionnelle pour comportement exemplaire durant leur détention,
et que les pauvres choux, il faut s’occuper de leur réinsertion et les aider à
se reconstruire, tandis qu’on ne dit rien du sort des femmes qui, elles,
n’auront jamais le loisir de se reconstruire puisqu’elles sont mortes. Sur
elles tombent le silence, et c’est tout juste si ce n’est pas de leur faute si
elles sont décédées. Pour certain-es, elles l’avaient même « bien
cherché ». Parce que c’est ce qu’il se produit.
Il n’est qu’à
lire les forums et commentaires des blogs ou articles des journaux, dans le cas
de B.Cantat et M. Trintignant, nombre sont les allusions faites à la vie bohème
de la seconde, ses enfants de pères différents, mais bien peu ne trouvent
étrange que le premier ait quitté sa femme peu après la naissance de son second
enfant. Il s’agissait d’ « amour », de « passion » et
autres sempiternelles ritournelles, tandis que concernant M. Trintignant, il
ressort que selon beaucoup elle n’était pas une mère comme il se doit.
Il n’en reste pas
moins que, dans l’ensemble, ce qui ressort le plus des commentaires qu’on peut
lire et qui donnent une idée de l’état d’esprit populaire à ce sujet, commentaires
que d’aucuns traitent de commentaires de caniveau, c’est, surtout de la part des femmes :
« 4 ans pour le meurtre de sa femme, ce n’est pas beaucoup ».
Sans doutes
certains de ces commentaires sont-ils abjectes, mais dans l’ensemble on perçoit
l’émotion populaire et ce qui en ressort pour ce que j’en ai perçu, ce n’est
pas tant le contentement de voir Cantat en liberté conditionnelle, plutôt le
malaise dont je parlais plus haut.
Mais il est vrai
que, d’autre part, on nous explique
doctement, comme je le disais également plus haut, que la loi est fort judicieuse, et que les peines sont parfaitement
équilibrées, que ça coule de source en vertu de la limpidité du code pénal.
Et d’une manière si goguenarde dans les commentaires de ce caniveau de luxe qu’on en est atterrée. Parce que voyez-vous
mesdames, il apparaîtrait que le cas de Cantat soit « atypique ». Si
si, vous avez bien lu, « atypique ».
Je me suis donc
enquise auprès du Maître de ces lieux (que je ne lis jamais, le droit ne
m’intéressant guère, que lorsqu’il s’agit d’un sujet touchant à la condition
féminine) dont j’avais pour l’occasion lu l’article (parce que j’avais entendu
sur France-info les journalistes en parler, comme quoi le cher Maître fait bien
partie de ces gens des médias qui font l’opinion et, en ce qui concerne l’avocat-vedette
du web, de ces gens qui font les lois ou pour le moins se chargent de les
appliquer), ce qu’il entendait pas cas « atypique », et si celui de
Cecillon était selon lui « atypique » également, et par conséquent de
ce que pouvait bien être un cas « typique ».
Vous pourrez comme moi constater que la réponse du cher Maître est des plus éloquentes: le silence, ce qui est rare chez un avocat. Nous pouvons sans doutes en conclure que le cas des meurtriers, des assassins de leur compagne sera considéré « atypique » pour longtemps et nécessitant force circonstances atténuantes dont « l’amour passionnel » ne sera pas la moindre, et que par conséquent ce n’est pas demain la veille du jour où la vie d’une femme ne vaudra pas plus que le double de celle d’un cheval, pour ne pas dire d’un parapluie.
Réactions de femmes à propos: ici et là, ou là.
Commentaires :
Atypisme
Maintenant, si la loi française prévoit 2 ans pour maltraitance sur les animaux (et 20 ans pour le crime de Cantat), je doute qu'un chanteur connu qui battrait son chien se les verrait infliger.
En relisant ce qui avait été écrit alors, en lisant ce qui est écrit aujourd'hui, j'ai l'impression que la société n'a pas su tirer des leçons de la mort de Marie Trintignant, puisqu'il ne semble pas que la vision de la violence conjugale ait changé pendant ces années. C'est sans doute le plus triste de l'histoire. J'ai l'impression que la violence conjugale est vue comme un comportement excessif, et que les gens ne trouvent pas le geste si déplacé au sein d'un couple d'artistes supposés vivre dans l'excès. C'est cette perception de la gifle comme un simple excès qu'il faudrait changer au sein de la société.
Re: Atypisme
Re: Atypisme
Ah oui, où ça? Qu'en serait-il si son crime avait été de nature raciste... Si quelques-un(e)s comme moi s'indignent devant le discours très majoritaire qui tendrait presque à désigner cantat comme une victime, si pour ma part je refuse catégoriquement de faire preuve d'empathie avec ce tortionnaire et criminel sexiste qui n'a même pas eu la décence d'accorder plus de 4 ans à la mémoire de "celle qu'il aimait tant..." Il me semble que l'expression de cette indignation reste très très très minoritaire et pour ma part je le déplore. Cet angélisme bienséant est criminel!
Re:
Ce billet de Fourest commentant son intervention dans l'émission mots croisés consacré à la sortie de Cantat:
"Ni sécuritaire, ni victimaire. L'exercice était particulièrement délicat lors de cette émission, finalement plutôt de qualité et de bonne tenue. L'idée était de ne pas exploiter outre-mesure la sortie de Bertrand Cantat dans le sens d'un féminisme simpliste, ne distinguant pas les violences conjugales de certains faits divers, de dénoncer les violences faites aux femmes tout en expliquant la nécessité de l'aménagement des peines..." Caroline Fourest
Sans doute était-ce le sens de l'emploi du terme: "atypique" ?
"un féminisme simpliste, ne distinguant pas les violences conjugales de certains faits divers"
j'aurais aimé que son billet nous instruise davantage sur les nuances auxquelles hélas mon féminisme simpliste me refuse l' accès. Après sa prestation lamentable dans cette émission,cette imposture de débat que son intervention a largement encouragée (heureusement Alonso était là pour un peu sauver les meubles) , très satisfaite de sa prestation elle en remet encore une couche soucieuse de nous éclairer de son féminisme subtile (oui parce que Fourest ose se réclamer de son engagement féministe!)
Re:
Re:
Et puis ce n'est pas Fourest qui a utilisé "atypique", mais l'ineffable Eolas. Vous devriez réserver votre vindicte pour cet antiféministe et misogyne notoire...
Re:
Bon. J'ai fini par trouver, sur son blog, que je ne lis pas régulièrement, contrairement à Prochoix, sur lequel son billet n'était pas publié. Elle a écrit là un paragraphe un peu balourd, je dirais un billet d'humeur, ça peut arriver. Je ne vais tout de meme pas lui en vouloir pour un paragraphe balourd.
Et puis de toutes façons je suis d'accord avec tout ce qu'elle dit sur Tariq Ramadam, et le courage de le publier (et du courage tout court, et rien que ça lui vaut l'estime de ma -modeste-personne). Elle agit à visage découvert et ne pérore pas en anonyme comme une certaine présidente des CdG que j'ai surnomée la Mère Zoubise dans mon blog) qui a succédé à Isabelle Alonso.
Ceci dit j'ai meme fini par trouver la video de l'émission mots croisés. D'abord il y avait 3 femmes, ce dont je ne vais tout de meme pas me plaindre, s'il y en avait eu une de plus ça n'en aurait été que mieux
Je les ai trouvées complémentaires et j'ai apprécié tout ce qu'elles ont dit.
J'ai trouvé que Caroline Fourest à parlé intelligemment de la situation des prisons et qu'il est nécessaire d'en parler; nous savons tous que les prisons françaises sont surpeuplées et dans le collimateur de l'UE, il va bien falloir trouver des solutions si on ne veut pas se trouver dans quelques années comme aux USA.
ça n'exclue pas ce qu'ont dit les deux autres, I.Alonso et la directrice du foyer pour femmes battues, qui ont bien pointé les urgences, le manque de moyens et de volonté politique.
Re:
Re:
http://mots-croises.france2.fr/35045352-fr.php
je pense qu'il n'y en a pas 36.
Non, ce n'était pas une émission sur les prisons, pas plus que sur les foyers pour femmes battues. C'était une émission sur Cantat, et (en élargissant un peu le débat) sur le symbole qu'il pouvait etre ou pas en France. On peut déplorer qu'il n'y ait pas davantage d'émission sur la condition féminine, que tout soit androcentré, pour ma part je le déplore, mais c'était une émission sur la liberté conditionnelle de Cantat.
Si on fait une émission sur le FMI, on y parle du FMI, pas de l'ONU, meme si on peut etre amener à parler de l'ONU. On ne peut pas tout mélanger en dépit du bon sens, à la fin.
Moi je considère le meurtre de M.Trintignant un crime sexiste, "typique", n'en déplaise à des olibrius montés du col se prenant pour les dieux du code civil. Si C. Fourest ne l'a a aucun moment reconnu comme tel, elle aura sans doutes le loisir de nous expliquer pourquoi en une autre occasion, et le cas échéant de nous dire qu'elle le considère comme tel également.
Non, je n'ai pas "adoré" le billet de C.Fourest sur Ségolène Royal, n'étant "adoratrice" de rien. Sincèrement, j'aurais un avis nettement moins tranché, à l'emporte pièce, et brut de décoffrage (en dépit des apparences) que C. Fourest. Ceci dit, j'ai soutenu dès le départ la candidature de SR, et comme C.Fourest, je suis passée sur bien des choses qui étaient loin de me convaincre. Par antique discipline, pour ce qui me semblait etre la seule possibilité concrète de pouvoir dammer le pion de Sarko. ça a raté, mais avec 47% quand meme, et je ne me repends pas un instant du choix que j'ai fait. A vrai dire, étant originaire d'Ile-de-France, qui est le fief de DSK, j'étais comme tout le reste de ma famille plutot favorable à icelui. Cependant, j'ai (comme Com-Vat mais pour des raisons différentes) opté pour Ségolène Royal non pas tant parce que c'est une femme mais parce que je considère DSK un macho (et un éléphant comme les autres, mais avec plus d'assise). Je l'ai systématiquement défendue à couteau tiré (sur le web) contre toutes les attaques misogynes et machistes dont elle faisait l'objet (et je dois dire que je me suis fritée avec pas mal de monde, y compris chez les altergaucho pour les décider à voter pour elle au nom du "tout sauf Sarko"). Je déplore que C. Fourest n'ait pas jugé opportun de relever les attaques machistes dont SR fit effectivement l'objet. Ceci dit, je n'ai pas non plus apprécié le coté "travail famille patrie", ni le versant effectivement "victimaire" de SR (et par la meme démago). Par ailleurs, les propos de C. Forest ont été à ce sujet loin de me déplaire autant que ceux de la donzelle M.Jacub qui disait rien moins (je ne sais plus où mais je chercherai le lien) qu'avec l'élection de Sarko "on avait échappé à la première dictature maternelle de l'histoire" (je cite de mémoire), il ne faut tout de meme pas pousser, c'est aussi idiot que de dire que Sarko est facho. ça fait peut-etre une rime, mais ce n'est pas une réalité, comme le faisait remarquer Birenbaum sur son blog NRV, et meme un trostskyste comme CSP, n'en déplaise aux altergaucho de la Bovésie (mais enfin eux, ils sont ramollis du bulbe autant que machos et psycho-rigides). Mais la donzelle Jacub n'est pas à une énormité près.
Revenez quand vous voudrez, Dandi, vous etes la bienvenue, mais pas pour me prècher la doxa des CdG, du moins pas sous la forme de la Mère Zoubise et consortes, je vous l'ai dit je n'"adore" rien ni personne.
Re: Post scriptum
Me dites vous plus haut, Dandi.
Je vous répondrais ce que j'ai déjà écrit ici. S'il avait été de nature raciste, on aurait entendu les altermondialistes. Mais curieusement, ils ont beucoup plus de coffre (de voix) quand il s'agit d'"immigrés" que de femmes. La preuve en est qu'on les entend bcp plus s'il s'agit de sans-papiers défenestrés, ce qui fait tout de meme moins de morts que les 180 femmes par an qui meurent sous les coups d'un "compagnon" en proie à la "passion". Si les féministes veulent faire concurrence en la matière aux altermondialistes variante Bovésie & macho company, inutile de compter sur moi.
Le premier et plus grand des racismes, universel et depuis toujours, c'est le sexisme. Et je ne pense pas changer d'avis à ce sujet avant longtemps.
Re:
Qu'est-ce que la doxa des CdG ? "Mère Zoubise" ? Connais pas non plus! (pas moins d'ailleurs que cette M. jacub dont j'ignore les énormités) .
Re:
Marcela Iacub, (sur wikipédia, la pseudo-encyclopédie en ligne, parce qu'elle le mérite bien) la juriste et chercheuse au CNRS, auteure de L'empire du ventre.
inconsciente
Je n'ai pas d'admiration particulière pour Marie Trintignant, ni de haine incommensurable envers Cantat.
Mais hier j'ai revu des images prises lors du tournage de Colette, et je n'ai pu empêcher mes larmes de couler.
C'est peut-être idiot, et il y a sûrement une explication, enfouie, à l'intérieur de moi.
Mais cette histoire ne me laisse pas indifférente.
Je sais que ce j'écris là n'a finalement pas grand rapport avec ton article à toi, mais je l'ai lu, et je comprends ton point de vue.
En tout cas je trouve ça bien d'en parler.
Bonne journée !